[le monde] des objets : pour la musique

avec le micro qui contacte

 

Quoi de plus évident. Envahi par les objets. Autant qu'ils soient joués et vibrent.

 

Comment ça a commencé ? utiliser des objets comme instrument de musique ? et des instruments de musique comme objet instrument de musique ?

Chacun peut donner son origine, dater en fonction de l'apport qu'il en a reçu. Pour ma part, c'est la musique concrète (Pierre Schaeffer [1] avec Pierre Henry) ici en à Paris qui a commencé à décadenasser (à partir du Studio d'Essai en 1944 puis du Groupe de musique concrète en 1951) la pratique classique de la musique savante (il aurait dû en rester là, au lieu d'en faire un traité décontextualisé et rébarbatif à l'image du solfège classique, mais l'esprit jeune France reste). L'idée de faire de la musique avec des bouts de sons enregistrés... Ou de penser : que des bouts de sons enregistrés et assemblés en boucles font de la musique (aussi), est une manifestation rare d'ouverture d'esprit (à (ce qui est) considéré quoi est quoi ou doit être quoi) dû à Pierre Henry. Pierre Schaeffer venait de la radio, pas de la musique. Un peu d'audace et de conviction suffit à faire pencher la tendance, la rencontre avec le percussionniste compositeur Pierre Henry fut fatale : Shaeffer avait l'outil, Henry les idées. La musique des objets sonores enregistrés était née, la danse aidant. Notons que pour « faire passer » (la pilule ? de) la musique aléatoire de John Cage et la musique concrète des Pierres Henry & Shaeffer, la danse était là : celle de Merce Cunningham pour Cage et celle de Maurice Béjart pour Schaeffer & Henry. Bien que ça n'atténua pas les scandales fomentés par les esprits obtus d'alors. Notons aussi que le « piano préparé » fut imaginé à la fois par Pierre Henry et John Cage : Cage l'utilisa en « live », et Henry l'enregistra pour le diffuser par des Haut-parleurs.

Entretemps et plus tard dans l'histoire, je fus admiratif de l'imaginaire de Karlheinz Stokhausen. Dans ce contexte avec Microphonie I en 1964 (j'avais 3 ans) Stokhausen montre les prémisses de la musique des objets avec un instrument de musique : un tam-tam (un gong Paiste) avec 2 microphones, 2 filtres avec potentiomètres et 6 joueurs. L'introduction du microphone, des filtres et autres potentiomètres dans l'écriture musicale (ludique ?) comme instrument de musique augmentait considérablement la palette du compositeur tout en faisant évoluer son état d'esprit. Aussi, Mauricio Kagel (dont la conscience politique fut plus au fait qu'un Stockhausen se prenant pour un extraterrestre) l'Argentin émigré en Allemagne en 1957, avec Staatstheater (1967/1970), Tactil (1970), ou Unter Strom (1969) regroupe toutes sortes de bricolages sonores avec des micros et des micros de contact aussi, comme sur de longues cordes tendues, des tiges, ou des chiffons à la place des pâles d'un ventilateur qui frappe le dos d'une guitare, et tant d'autres inventions découvertes grâce à son esprit provocateur de « représenter l'absurde » : un théâtre musical d'objets sonores et d'instruments de musique détournés de leur fonction primaire. Les jeux étaient faits, au point de se faire caricaturer : les balles de ping-pong dans le piano, ça a fait marrer tout le monde ! ou du compositeur farfelu des Tontons Flingueurs en 1963 confronté à Lino Ventura en ancien bandit devenu directeur d'une entreprise de tracteurs, etc. J'ai rencontré Josef Anton Riedl en 1978, après avoir assisté à son concert Glas-spiele élaboré de 1974 à 1977, 10 ans après son Paper Music où le papier sous toutes ses formes matériel et sonore (comme pour Glass-spiele) compose la musique. Avec l'Anglais Hugh Davies (qui travailla avec Stockhausen), la jonction entre le free jazz improvisé et la musique expérimentale est consommée, son concert en 1979 à Berlin pendant son « workshop freie musik » (le vinyl Shozyg sort en 1982 sur Free Musik Produktion records) introduit l'improvisation dans le jeu des objets sonores en « live », pour Hugh Davies on pourrait même dire des micro-objets attablés : je me rappelle sa harpe lilliputienne à tige sur laquelle il soufflait ! La lampe archisonique arrive l'année suivante [2]. Dans la continuation de cette grande exploration, je suis tombé sur l'idée (ou elle m'est tombée dessus) de jouer pour la musique de cet objet quotidien connu de tous (pratiquement tout le monde éclairait son bureau avec une « lampe d'architecte » (en français) inventé par le designer anglais George Carwardine en 1932 et nommé : Anglepoise lamp). La musique concrète jouée sur des objets « lampe d'architecte » (avec des traitements en temps réel : filtres, lignes de retard, spatialisateurs, etc.), c'est développé pendant 27 ans. Le détournement de l'objet (ready-made pour la musique) de la lampe d'architecte était en soi excitant à la recherche constante de l'inouï. Est-ce un clin d'oeil au système des objets de consommation (Jean Baudrillard) ? Mais le fétichisme produit par l'objet vu, provoquait des réflexions telles que : « tous ces sons incroyables, et ce, qu'avec une lampe d'architecte ! » n'a pas défétichisé l'objet ; au contraire : la performance devenait un phénomène de foire, jusqu'aux agressions de la part du public en 2006. J'avais mélangé le masque et la lampe (la cruauté et l'élégance), et cela générait des réactions de violences publiques incontrôlées de la part de personnes non mélomanes. 27 ans après (2007) il fallait cesser cette mascarade malgré quelques belles oeuvres produites.

 

des orchestres d'objets

 

L'orchestre me poursuit comme une obsession, est-ce par son absence, sa possibilité impossible, sans doute. Dans la logique de la continuité historique, l'orchestre d'objets tombe sous le sens. Organiser une écriture orchestrale (hors de la mécanique solfégique classique qui est inappropriée) d'objets sonores joués par des musiciens ensemble est certainement orgasmique. Mais encore aujourd'hui (2013) les musiciens-inventeurs restent isolés avec leur invention. Le moment n'est sans doute pas encore propice pour se rassembler en orchestre. Bien que mon premier appel date de 1980 avec le premier consort d'objets domestiques soniques : les lampes du Ludus Musicae Temporarium dont la première a été interprétée par les Percussions de Strasbourg en 1988 au festival Manca à Nice. En 1984, Concert Bouffe est un orchestre de chaises musicales (aussi un consort) qui commence à 2. En 1986 avec 6sssssseX+2eX, c'est un orchestre composé de 5 consorts : 1er consort : les joueurs d'embouchures lipales, 2d consort : les joueurs de percussions destinées aux touristes (dans les boutiques de souvenirs), 3e consort : les joueurs d'éponges sèches sur vitres suspendues, 4e consorts : les joueurs d'instruments de musique oubliés dans les caves et les greniers, et 5e consort : les joueurs d'ondes radio (radios et synthétiseurs). En tout, 24 musiciens minimum pour former l'orchestre générateur d'orgasmes du 6seX+2eX, dont le 6e seXe est le rire, commun à tous les 5 consorts [3]. Mon dernier appel date de 2012 pour l'opéra : hOpe rats ? Bellone the Slope of War, un orchestre d'objets sonores chacun isolé dans une chambre à l'acoustique différente (de tout un immeuble abandonné d'un groupe d'assurance et de la police européenne à Den Haag). Chaque musicien isolé de l'orchestre est lié mélodiquement par les chanteurs errants (toutes et tous de cultures vocales différentes : chinoise, arabe, mongole, iranienne, inouït, occidentale lyrique, indienne, indonésienne, etc.) et rassemblés par le mixage sonorisé tridimensionnellement hors et autour du building [4]. Pourtant, tous ces inventeurs sont présents sur Internet, mais restent isolés derrière leur écran.

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le micro et le micro de contact comme instrument de musique

Ecrire une partition pour un micro, voire plusieurs. Une partition quantitative avec ses attributs : 0. choix du type de micro, 1. distance source micro, => a. position, b. direction, c. vitesse (attributs de base de toute composition musicale), 2. volume (amplitude) du préampli (jusqu'à la saturation possible puis explorée systématiquement à partir des années 80) 3. « couleur » de la saturation par filtrage, etc. Le micro devient l'oscillateur d'une synthèse matricielle en temps réel : OSC -> ENV -> FLTR -> etc., tiré du modèle du synthétiseur analogique [5]. Dans cette matrice de synthèse apparaissent tous les « effets » (ring modulation, écho, délai ou ligne de retard, pitch ou frequency shifter, saturation, distorsion, « whawha » filtre en cloche qui balaye, flanger, phasing, harmoniseur, etc.) joués comme des instruments de musique (la whawha de Jimi Hendrix avait ouvert la direction). Les effets destinés aux guitares électriques se sont retrouvés sur les tables des joueurs d'objets. Les installations-concerts avec le larsen (feedback) des micros deviennent courantes (Steve Reich, Alvin Lucier, et les autres). Le larsen est un attribut supplémentaire producteur d'une oscillation sinusoïdale : un oscillateur sinus très puissant (avec le risque de cassure de haut-parleurs).

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Le micro de contact

hand made contact microphone

Le micro de contact capte les vibrations des matières solides. Il se colle ou se fixe (se presse) avec un étau sur l'instrument de musique à sonoriser. L'union objet sonore et micro de contact était inévitable. Le micro de contact capte les détails qu'un microphone (aérien) ordinaire ne capte pas ou capte avec un équipement coûteux (micro + préampli + studio d'enregistrement isolé phoniquement). La différence de prix entre une cellule piézo-électrique et la parenthèse d'avant est ... Dans les performances et concerts, l'utilisation du micro de contact s'est généralisée. Le micro de contact fait fonction de microscope pour la musique. Qui découvre un monde microvibratoire riche à musicaliser. Une chaîne électro-acoustique qui va de l'objet jusqu'à la sonorisation multidimensionnelle de spatialisation. Un champ musical énorme encore inconnu quelques années antérieurement.

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Ouverture de l'Exploratoire permanent avec le slogan :
WHEN ANY OBJECT CAN TELL A STORY, IT BECOMES A MUSICAL INSTRUMENT
quand un objet peut raconter une histoire, il devient instrument de musique

Un rituel ou un systématisme crée l'habitude et l'habitude (d'habits et d'habiter) créer une réalité : la tradition, c'est-à-dire les contextes de nos vies avec lesquels on se prend l'habitude d'agir.
L'objet s'impose à la fin des années 70 comme instrument de musique qui se systématise et se ritualise dans la pratique de la recherche et du concert. D'où la nécessité de l'ouverture d'esprit permanent sur l'exploratoire : une attitude et un lieu d'esprit où se développe tout possible sonique en dehors de l'entendu. L'exporateur-bricoleur-inventeur-improvisateur-compositeur devient à partir des années 70 un nouveau genre de musicien [6] que l'on retrouve dans le monde occidental clandestin [7]. Mon exploratoire, je l'ai nommé : centrebombe, avec l'idée d'être le lieu de naissance de la vibration (forme explosive dans toutes les directions). C'est à la fois un laboratoire qui pratique l'expérimentation des théories (des musiques imaginées) et leurs réalisations en concert. En 34 ans, un très grand nombre d'objets, d'instruments détournés en objets sonores, de systèmes de diffusion sonique dans l'espace, etc., sont passés entre mes mains (pas tous, je le regrette, surtout pour la « raison financière » qui empêche, plus qu'elle favorise l'expérimentation) qui ont provoqué un nombre de créations invraisemblables (un vrai sans bla bla) [8].

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Notes
[1] A 30 ans "prend la tête de Jeune France sous l’égide du ministère de la Jeunesse du gouvernement de Vichy" (fr.wikipedia) de 1940 à 1942 qui est dissoute en 1942 (je ne savais pas ; ceci explique sans doute son caractère tyrannique ? non). Jeune France est l'amorce de l'intervention de l'État dans la culture sous Pétain. Qui renaîtra en 1959 sous Charles de Gaulle et deviendra hégémonique sous François Mitterrand en 1981. Des noms : "en 1936 Jeune France était composé d'Yves Baudrier, d'Olivier Messiaen, de Daniel-Lesur et d'André Jolivet (ils entendaient réintroduire la spiritualité dans la musique)". Puis "présidé par Alfred Cortot, avec la participation de Jean Vilar, Fernand Ledoux, Raymond Rouleau, Pierre Fresnay, Pierre Renoir, Loleh Bellon, Jean-Marie Serreau, Jean Bazaine, Jean Bertholle, Jean Le Moal, Alfred Manessier, etc." (fr.wikipedia), pour la plupart inconnus aujourd'hui. Une page sombre pour les arts pris au piège de la politique interventionniste, voire totalitaire dans sa tradition révolutionnaire. Dans la première moitié du XXe siècle, l'Europe était infestée d'idéologie pour la jeunesse, d'hygiène, de sport et de rassemblement (Métropolis de Fritz Lang date de cette époque : 1927) dans les partis de gauche comme de droite (fascistes ou communistes) et les groupes religieux aussi qui se retrouve dans le scoutisme. Tendance aussi qui a donné les camps nudistes. Etc.
[2] La longue histoire de la musique archisonique, de la lampe archisonique, des joueurs de lampes et de l'oeuvre ludique du Ludus Musicae Temporarium.
[3] 1986 : 6sssssseX+2eX : la page explicative et sa partition sonore.
[4] 2012 l'opéra : hOpe rats ? Bellone the Slope of War (projet)
[5] Pour Oudission (1982) musique pour 3 flûtes, la distance rythmique et de mouvement du musicien face à 4 micros disposés en quadriphonie sont inclus dans la musique. Les figures de mouvement du musicien sont primordiales puisqu'elles sont perçues par les auditeurs dans leur vitesse unidirectionnelle de défilement (la vitesse perçue de l'intérieur d'une voiture lancée par exemple).
[6] la pratique du musicien-exporateur-bricoleur-inventeur-improvisateur-compositeur est illustrée dans le film sur Fred Frith, bien qu'il ne soit ni le seul, ni le premier à agir dans cette tradition. Pratiquement tous les musiciens originaux des années 70, 80 du XXe siècle agissaient musicalement ainsi.
[7] La musique expérimentale (pour avoir osé tremper dans l'improvisation indéter.minable après-garde ?) après sa scission avec la musique contemporaine (déter.minable devenue classique par son institutionnalisation volontaire ?) c'est retrouvé sans moyen (surtout en France) : ce qui est toujours le cas, 40 ans après. Ce divorce est un drame pour la musique savante vivante : ça a créé un courant musical stérile et un autre banni. A tel point que la musique savante vivante pour les non-initiés n'existe pas. « La musique ? y a du classique, du jazz et du rock, du folklore (world) et de l'électro » ou : « La musique ? ça sert à la chanson ».
[8] quelques instruments rescapés de l'Exploratoire ici

 

 

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