Les universités médiévales Article écrit par Jean Favier, EU2009 Prise de vue Les universités qui apparaissent et se multiplient au cours des trois derniers siècles du Moyen Âge sont des institutions profondément originales à tous égards. Le mot universitas signifie, dans le latin médiéval, « communauté ». L'universitas studiorum est une forme originale de communauté, qui se régit elle-même et échappe aux contraintes du droit commun. Non moins originale est la tentative d'une approche universelle de la connaissance, d'universalisme de la pensée et du raisonnement, réalisée par la scolastique universitaire à son apogée. Les conséquences – tantôt heureuses, tantôt malheureuses – en sont l'insertion du monde universitaire dans toutes les fonctions sociales. L'université joue un rôle politique, mais elle est elle-même un élément des politiques et des nationalismes naissants. La même scolastique, en quoi s'étiole rapidement la spéculation théologique, est l'instrument d'une rénovation de la pensée scientifique et s'ouvre en définitive sur l'humanisme. La corporation universitaire L'indépendance C'est d'un besoin d'indépendance que sont nées les universités. Indépendance envers l'autorité ecclésiastique, tout d'abord : la plupart des universités de la première génération, celles de Bologne, d'Oxford ou de Paris, se sont constituées en réaction contre l'évêque qui, par l'intermédiaire de son écolâtre ou de son chancelier, gouvernait les écoles établies à l'ombre de sa cathédrale ; les maîtres et les écoliers se plaçaient hors du clergé hiérarchisé et situaient leurs spéculations hors des contraintes épiscopales. Indépendance, aussi, envers le pouvoir laïque : toutes les armes furent bonnes, grève ou sécession dans une autre ville, pour faire reconnaître l'exemption de la juridiction laïque et l'indépendance intellectuelle que consacrèrent des statuts octroyés par le Saint-Siège. Car c'est à l'appui pontifical que les universités doivent d'avoir gagné leur indépendance. Les papes y trouvaient – de même que dans la fondation des ordres mendiants, à peu près contemporaine – le moyen d'assurer leur autorité et de contrôler directement la formation des clercs et la pureté de la foi. C'est dire le rôle déterminant joué, dans la fondation des premières universités, par les légats pontificaux. Universités médiévales : naissance des Universités médiévales Date de fondation des universités du XIIe au XVe siècle. Les princes comprirent vite qu'ils avaient intérêt à s'accommoder de la corporation universitaire, pépinière d'administrateurs, de juges et de conseillers, dont le prestige rejaillissait sur la ville et sur le prince. Les créations des XIVe et XVe siècles sont souvent le fruit des ambitions princières et des rivalités régionales. Assurées en droit de leur indépendance, elles étaient en fait de plus en plus liées aux gouvernements laïques. Le lien qui les unissait au Saint-Siège s'estompait facilement en un temps où celui-ci était disputé, voire attaqué par les conciles réformateurs. Les universités de Plaisance ou de Pise concouraient à la gloire des Visconti ou des Médicis, celle de Paris aux œuvres du régent Bedford. Il n'était plus question d'indépendance. L'organisation L'université médiévale est organisée en établissements qui se gouvernent eux-mêmes. Les facultés des « arts », que l'on rencontre partout, ont pour fonction l'enseignement secondaire, celui des « arts libéraux ». Les étudiants, jeunes (de 14 à 20 ans environ) et nombreux (plusieurs milliers dans les grandes universités du XVe siècle), sont souvent répartis en groupes linguistiques et nationaux. Les autres facultés, correspondant à l'enseignement supérieur, sont inégalement établies, et inégales en réputation : ainsi, Paris, célèbre pour les arts et la théologie, n'a pas de faculté de droit civil, cependant que Montpellier brille pour la médecine et le droit civil, et Bologne par ses enseignements juridiques. Tous ces établissements se gouvernent selon des statuts différents. À Bologne, les écoliers régissent matériellement l'université. À Paris, au contraire, les maîtres ont la réalité d'un gouvernement auquel sont associés les écoliers. Partout, procureurs, recteurs, doyens, chanceliers sont élus, et les maîtres sont choisis par leurs pairs. Maîtres et écoliers du XIIIe siècle sont souvent itinérants, établis pour quelques années dans une université ou dans une autre, ce qui donne à la formation universitaire un caractère universel. La multiplication des universités et le rétrécissement de leur aire de rayonnement met fin à cette itinérance. L'université dispose parfois, surtout à la fin du XVe siècle, de locaux propres, mais l'enseignement se dispense plus généralement au domicile des maîtres, dans les salles ou chapelles des couvents, dans les collèges enfin. Ces collèges ne sont pas autre chose que des résidences pour écoliers boursiers. Fonder un collège en le dotant d'un certain nombre de bourses est une des formes du mécénat. Des collèges sont devenus célèbres, comme celui que fonda à Paris en 1257 le chapelain de Saint Louis, Robert de Sorbon, ou comme le collège d'Espagne fondé à Bologne en 1364 par le cardinal Albornoz. D'autres restèrent plus modestes : au XVe siècle, Paris en comptait une cinquantaine, où ne vivaient qu'une faible partie des étudiants, la plupart logeant à l'auberge ou chez l'habitant. Dès le XIIe siècle, la fonction enseignante s'érige en profession. Les maîtres vivent de la rétribution que versent leurs auditeurs et du revenu de leurs bénéfices ecclésiastiques. L'intrusion des ordres mendiants, qui récusent le principe d'une rémunération du savoir, fait donc scandale. L'enseignement est-il un moyen de gagner sa vie, ou une façon de prêcher la parole de Dieu ? La crise est aggravée du fait que les Mendiants jouissent du prestige des ordres neufs et qu'ils détournent vers leurs maisons vocations et offrandes. On assiste donc à une éviction progressive, par les maîtres séculiers, des Dominicains et des Franciscains, qui auraient pu être un ferment de renouvellement en matière théologique. Les fonctions universitaires L'enseignement traditionnel La scolastique est une technique qui fonde sur la compréhension des textes faisant autorité une analyse formelle conduisant à l'énoncé de la vérité et à ses applications. Analyse grammaticale et sémantique, d'abord, qui précise le sens littéral d'où l'on s'élèvera à l'interprétation symbolique et morale. L'enseignement est avant tout une lecture commentée, un essai d'interprétation, de clarification et d'harmonisation des textes. La lecture conduit à une discussion originale des propositions tirées des autorités. Les étudiants y jouent un rôle fort actif, le maître se réservant de poser la « question », de redresser les jugements et de rassembler les arguments pour la synthèse finale. La scolastique à ses débuts fut l'instrument grâce auquel les universitaires clarifièrent la pensée médiévale. Aux aristotéliciens du XIIIe siècle, Thomas d'Aquin en premier lieu, elle a permis de tenter une rationalisation de la foi en mettant en accord la pensée antique et la doctrine chrétienne. Les maîtres d'Oxford ont jeté les bases d'une conception rénovée de la connaissance, et Roger Bacon a montré l'unité du savoir, théologie comprise. Au XIVe siècle, Guillaume d'Ockham fondait à Oxford la logique expérimentale, Jehan Buridan pressentait à Paris les lois de la physique et les juristes organisaient un droit cohérent. La sclérose guettait. Elle fut l'un des fruits du dogmatisme. Elle fut aussi la conséquence de la piété mystique qui se développait et rejetait toute conciliation de la raison et de la foi, celle-ci étant une connaissance en soi. La scolastique elle-même portait ses propres germes de sclérose, car la dialectique devenait une fin et un simple jeu de l'esprit. Le formalisme l'emportait. L'université souffrait aussi du mal auquel avaient été sujets les grands ordres monastiques : elle était devenue riche et puissante, elle s'était compromise dans les affaires du monde. Les maîtres formaient une aristocratie privilégiée ; les docteurs de Bologne avaient des armoiries et ceux de Paris jouaient aux hommes d'État. Quant au rayonnement universel qui avait auréolé les grandes universités du XIIIe siècle, il était incomparable avec les universités provinciales du XVe. Presque partout, la sclérose s'aggravait d'un rétrécissement des horizons. Fonction politique Les écoles du XIIe siècle avaient fourni aux princes nombre de leurs plus efficaces collaborateurs. Les universités ne pouvaient que prendre une part déterminante à la vie politique, alors que grandissait à travers toute l'Europe le rôle des administrateurs. On trouva désormais maîtres et anciens élèves de l'université dans les conseils et les principaux rouages de l'État. Disposer d'une telle pépinière était donc pour les princes une nécessité, qui contraria la vocation universaliste de l'enseignement universitaire. Il fallait contrôler l'instrument de la formation d'une élite frottée de logique et de droit. À cette fin répond la création de bien des universités des XIVe et XVe siècles : Prague et Cracovie, Turin, Aix, Dole et Louvain. C'est pour ne jamais dépendre des universités étrangères à leur domination – le droit civil s'enseignait à Orléans, et non à Paris – que Bedford et Henry VI créèrent celles de Caen et de Bordeaux, cependant que Charles VII suppléait à la perte de Paris en créant celle de Poitiers. Le Grand Schisme (1378-1417) donna aux universitaires l'occasion de se mêler de politique en tant que corps. Ils donnèrent sur la légitimité des papes une opinion plus ou moins écoutée et s'affrontèrent pour jouer un rôle dans la détermination des souverains à l'égard de Rome ou d'Avignon. Les maîtres parisiens se posèrent en défenseurs des « libertés de l'Église », c'est-à-dire de leurs privilèges et de leurs bénéfices. Ils méritèrent ainsi une grande audience devant les Conciles de Constance (1414-1417) et, surtout, de Bâle (1431-1449). Mais les palinodies d'un concile qui dura dix-huit ans, souvent dans l'anarchie, minèrent la réputation des universitaires qui le dominaient par le nombre et la loquacité. À la même époque, le procès de Jeanne d'Arc avait usé le crédit des Parisiens. On ne tint plus guère compte de leur avis. Vie littéraire et culture L'université n'était pas, comme les anciennes écoles épiscopales ou monastiques, un simple organe de préparation aux fonctions cléricales. Des jeunes gens qui se pressaient dans les facultés des arts, seul un petit nombre se destinait à la théologie. Dès le XIVe siècle, les marchands de Florence envoyaient leurs fils compléter à l'université le rudiment acquis dans les écoles laïques. Par besoin intellectuel ou par souci de carrière, le monde laïque se pressa à l'université. La scolastique supposait la lecture des textes par tous, donc la multiplication des copies à bon marché. Copistes et libraires des universités diffusèrent le goût des livres parmi les laïques. À côté des manuscrits précieux qui continuaient une longue tradition, il y eut des manuscrits maniables et de petit format, sans calligraphie ni enluminures. Jusque-là objet d'art, le livre n'était plus qu'instrument de culture. L'imprimerie, qui multipliait les exemplaires sans diversifier les fautes de copie, trouva donc dans les milieux universitaires un accueil favorable. C'est à la Sorbonne que fut installée par le recteur Guillaume Fichet la première presse parisienne. Les maîtres de droit et, surtout, des arts s'ouvrirent plus volontiers que les théologiens aux courants nouveaux de pensée. Familiers de la rhétorique antique, ils découvrirent les philosophes en tant que tels. Soucieux de critique textuelle, ils allèrent aux originaux grecs. Il y avait cinq chaires de grec à Bologne en 1465. Dès le début du XVe siècle, l'enseignement des humanités était assuré à Bologne et Padoue. On enseigna la poésie latine à l'université médicéenne de Pise. Lefèvre d'Étaples enseignait à Paris la grammaire et Robert Gaguin le droit canonique. À la fin du XVe siècle, les universités étaient, avec les cours princières et en liaison avec celles-ci, les grands foyers de l'humanisme. Bibliographie * M. Bayen, Histoire des universités, coll. Que sais-je ?, P.U.F., Paris, 1973 * S. Irsay, Histoire des universités françaises et étrangères depuis les origines jusqu'à nos jours, Paris, 1933 * J. Le Goff, Les Intellectuels au Moyen Âge, Paris, 1957 * H. Rashdall, F. M. Powicke & A. B. Emden, The Universities of Europe in the Middle Ages, 3 vol., Oxford, 1936 * P. M. Renucci, L'Aventure de l'humanisme européen au Moyen Âge (IVe-XIVe siècle), Paris, 1953 * J. Verger, Les Universités au Moyen Âge, P.U.F., 1973.