Echange Sédano - Shadow-Sky, juillet 2018 Sédano - J'ai toujours constaté une certaine étanchéité entre les disciplines et pensé que la transversalité était une bonne piste à explorer dans les arts et la connaissance. Shadow-Sky - Avec la transversalité des pratiques artistiques (voire avec les sciences), il y a toujours quelque chose qui empêche le mélange à parts égales, à ce que ça donne autre chose, que des disciplines combinées. La raison ? les domaines des pratiques artistiques sont dé-limités par les lieux de leurs présentations : une exposition de peintures dans une salle de concert ? ça ne se fait pas. La musique dans le musée ? qu'en fond sonore secondaire. La musique de film ? une « bande-son ». Ce qui est perçu du public est tributaire du lieu spécialisé dans lequel il rentre : un film dans un cinéma, une expo dans une salle d'exposition ou un concert dans une salle de concert : toutes ont des fonctions disciplinaires précises et séparées (même si une autre pratique est là, elle est socio-logiquement secondaire). Pourtant, je me rappelle du musée d'art moderne de la ville de Paris avant les travaux et les fermetures des salles, non conformes aux normes sécuritaires imposées sans consultation (aïe), ces salles où ce mélange, cette transversalité pouvaient justement vraiment s'opérer. Ces salles « inter-médias » ont été fermées à la fin des années 80 du XXe siècle. Aussi, les limites de cette transversalité des pratiques artistiques ne se jouent pas uniquement à travers les lieux d'accueil et de commerce des arts (il s'agit principalement de ça : vendre pour s'enrichir aux dépens des autres), mais dans l’approfondissement artistique de l'ouvrage. Pratiquer une double ou triple discipline, seul, rend le travail de l'approfondissement + épais ; c'est là où la collaboration peut être bénéfique, mais les artistes entre eux, à mélanger leurs démarches différentes, ça demande de leur part, une ouverture d'esprit et une tolérance exceptionnelle, à supprimer : « moi je », « mon idée à moi », « regardez-moi », etc. Aussi, pour qu'un artiste se complète, il ne peut pas rester isolé dans sa discipline : même : ça n'existe pas un artiste qui ne pratique qu'une seule discipline : un artiste monosachant, monoactant ? quoique les obsessionalistes tels qu'Opalka existent ! mais pour en arriver là, il a fallu amasser une connaissance qui se nourrit obligatoirement des autres disciplines. Je vois bien dans ton parcours que tu as emprunté « les voies secondaires », même si parfois elles croisent des lieux « prestigieux » tels la cité des sciences à Valencia ou le Grand Palais à Paris, ça reste dans « un espace mineur » (= sans danger) où la conscience du public reste au niveau du divertissement. La musique est l'art par excellence de « la transversalité des disciplines », un compositeur seul n'est rien, et ignorant encore moins, il a besoin des autres, et, encore + dans le monde de l'opéra (qui est resté coincé au XIXe siècle). // Sédano - j'ai découvert tes échelles nonoctaviantes et tes étonnantes partitions sociologiques Shadow-Sky - mes « partitions sociologiques » !? Ça, c'est une appellation première ! qu'est-ce que c'est : « une partition sociologique » ? Le mot partition me fait toujours référence à la partition d'un pays pour raison de discordance (la danse de la discorde, aïe) ; un mot que je n'aime pas beaucoup et qui ne correspond pas à mes écritures de musiques (plutôt ludiques) : qui ne sont pas partitionnées (qui n'isolent pas le musicien dans sa partie sans connaître celle des autres). Les modes de la musique classique véhiculent des idéologies de domination et de hiérarchie qui favorisent la partition, la mécanisation, l'automation de l'ouvrage quantifiée (pour être vendable -en exclusivité du copyright- jusqu'à s'emparer de l'entièreté des droits de l'auteur) et qu'on retrouve jusque dans le séquenceur numérique qui quantifie les rapports de durées qui donnent une rythmique mécanique bien reconnaissable de l'horloge de l'ordinateur où composition est confondue avec « disposer des objets sonores ». Mais la musique n'est pas un objet audio, sauf dans l'industrie de la musique qui ne s'intéresse qu'à la rentabilité de la chanson populaire qui est d'une + large audience que les autres musiques, insultées : « élitistes » (sic). Par crainte pour l'effort à faire de comprendre le monde dans lequel on vit et qu'on provoque. Shadow-Sky - Je connais « l'art sociologique » de Fred Forest, mais qui se renomme « artiste des nouveaux médias » ? En fait, Fred dévoile les petites combines entre fonctionnaires et artistes, les détournements de fonds, les faux ouvrages, le mépris général du monde de l'art, etc. Mais l'idée du manifeste de « l'art sociologique » en 1974, repose sur ça : « le fait sociologique du lien entre l’art et la société » ! Mais l'art n'existe pas dans le monde, s'il n'existe pas en société ! Tout art, toute musique est obligatoirement sociale, c'est ce qui permet d'entendre ta musique jouée, car entendue par les autres et les commandes d'oeuvres aux artistes (qui n'existent plus vraiment aujourd'hui à force de combines de détournements de fonds public). Justement, la censure des arts, affirmée depuis 1981, dans le masque de la politique culturelle, est d'empêcher cet « accès social » (pour un peuple cultivé) aux arts = l'accès public des oeuvres d'art (quand on pense que se sont les socialistes qui ont réalisé cette désocialisation des arts !). Où le marchandage, avec une morale passéiste exprime un mépris profond envers les artistes vivants insoumis à la domination des hauts fonctionnaires commissaires et programmateurs et des hommes d'affaires friqués pour te dominer à te soumettre. Je ne suis pas sociologue ni socialiste et surtout pas national (de par ma famille issue de multiples sources européennes ?) : terme terminatoire qui t'enferme dans une petite case étroite où ton oeuvre restera enfermée post mortem. Je tente + d'amener des solutions pour sortir de l'hégémonie de la pratique et la théorie musicale occidentale qui n'évolue plus sa base depuis trop longtemps, mais se délecte de croyances visuelles produites par le monde de l'informatique d'une idéologie immobile vieille de 300 ans (que même la musique contemporaine du XXe siècle n'a pas réussi à détrôner !) de la gamme « majeure » (sic). // Sédano - J'aurais pu développer plus, en dire plus, c'est vrai... Shadow-Sky - Ce qui manque à savoir au lecteur dans ton livre, c'est justement le sens profond (la motivation) de ta démarche (qui te fait faire ça et pas autre chose), au-delà du bricolage pratique de génie, de la description sommaire de l'oeuvre qui ne dit pas, ni ne révèle son sens profond, qui fait que tu as fait exister cette oeuvre. Savoir pour comprendre, au lieu de s'en divertir : acte par excellence du public inculte qui se retrouve face à face avec ce qu'il a toujours évité : sa conscience. Sédano - Nous n'avons pas beaucoup été aidés, mais pas vraiment été persécutés non plus. Shadow-Sky - Si tu emploies ce mot « persécuté » qui représente le niveau le plus aigu de la génération de la souffrance envers l'autre (au point que le vocabulaire (= les psychiatres) efface ce sens pour le remplacer par « le sentiment de persécution » pour « paranoïa », tellement le sens du mot est indiscutable à réaliser la volonté de souffrance), c'est que tu constates cette « persécution » dans mes tentatives de créations musicales qui en grande partie sont censurées des scènes musicales officielles ? Je ne m'étais jamais rendu compte de la gravité de ma propre situation ! ah ah :) Sédano - j'apprécie ton travail et ton énergie à le défendre. Shadow-Sky - merci Jean-Robert, c'est rare, et ça fait du bien :) Shadow-Sky - Le livre des Ephémèrôde est un manuel de musique, une méthode, une autre manière de composer la musique (avec l'esprit joueur), de la pratiquer, de la penser, de l'élaborer, de l'écrire, seul et ensemble, et surtout de la comprendre pour l'entreprendre. Je l'ai conçu comme un manuel pour étudiant en musique, comme nouvelle "partition" pour musiciens.nes fatigués des partitions classiques, je l'ai conçu à ouvrir nos esprits soniques à ce qu'on refuse d'entendre (tout ce reste qui reste dans l'espace de la surdité), pour s'engouffrer dans la croyance naïve des « nécessités (obligatoires) de la musique » (sic). Le travail de déconditionnement est considérable. //