MANIERISME Prise de vue (la vue est-elle prise, sans doute) Le terme de maniérisme est couramment employé aujourd'hui pour désigner principalement certaines manifestations artistiques réalisées en Europe entre 1520 et 1620 environ. Ainsi entendu, le maniérisme recouvre pratiquement presque tout le XVIe siècle européen ; stylistiquement, il se situe entre l'apogée de la Renaissance et les débuts du baroque et du classicisme. Comme les termes de baroque et de classique, le terme de maniérisme a été, en outre, étendu à des œuvres de n'importe quel siècle et de n'importe quel pays. Cette extension est d'autant plus abusive que la notion de maniérisme est en elle-même fort confuse et souvent employée illégitimement. L'épithète « maniériste » apparaît pour la première fois au XVIIe siècle chez Fréart de Chambray (1662) et le terme de maniérisme seulement à la fin du XVIIIe siècle, pour devenir tout à fait courant au XXe. En héritant des idées et des préjugés du XVIIe siècle, les historiens ont porté sur le maniérisme un jugement d'abord négatif. Ce préjugé s'est maintenu jusqu'au XXe siècle où les travaux des chercheurs européens permirent, en la situant dans le temps, d'approfondir la notion de maniérisme, de la valoriser en attirant l'attention sur des œuvres d'art souvent négligées, parfois dépréciées, ou même inconnues. Les grandes expositions de Naples (1952) et d'Amsterdam (1955), de Manchester (1964), de Paris (1965-1966) les révélèrent à un large public. Le titre de l'exposition d'Amsterdam en 1955, Triomphe du maniérisme européen, symbolise le moment le plus haut de la tendance « expansionniste » du terme maniérisme, tendance sur laquelle on n'allait pas tarder à revenir ; les actes du congrès de New York de 1961-1962 (en particulier dans les communications de Craig H. Smyth, John Shearman), l'exposition de Manchester en 1964, qui s'intitulait modestement Between Renaissance and Baroque, reflétèrent les préoccupations toutes nouvelles des historiens et leurs réticences dont témoigne aussi un éditorial célèbre du Burlington Magazine (avr. 1965). L'emploi du mot maniérisme pour désigner des manifestations artistiques extrêmement différentes les unes des autres parut, à juste titre, à beaucoup dangereux et bien souvent inadéquat ; certains historiens préfèrent donc même y renoncer. Histoire du terme « maniérisme » Chez Vasari, le terme maniera est employé de deux façons différentes. La première acception a le sens de style : l'art « ancien » de Giotto (maniera vecchia) est ainsi opposé à l'art « moderne » de Léonard (maniera moderna). D'autre part, Vasari qualifie cette maniera moderna de bella maniera : pour lui, elle implique certaines qualités exceptionnelles, l'harmonie et la mesure (regola, ordine, mesura, disegno), l'imagination et la fantaisie (fantasia). Ainsi entendue, la bella maniera exprime, comme l'a bien montré John Shearman (1963-1965), l'idéal « courtois » et raffiné du XVIe siècle, tel que l'incarne, par exemple, le Courtisan de Baldassare Castiglione. La recherche de beauté et de grâce s'y confond avec celle de perfection, de « savoir-faire », de virtuosité et d'élégance. Dans ce sens, le terme de maniera n'est évidemment jamais employé de façon négative et ne correspond pas du tout à l'adjectif « maniéré » (manieroso, manierato) qui a aussi un sens péjoratif. Le point de vue de Vasari est, naturellement, basé sur la certitude de la supériorité de la Renaissance et de ses grands créateurs, en particulier de Michel-Ange. Cependant, peu à peu, l'idée d'une décadence des artistes du XVIe siècle par rapport à la perfection idéale de Michel-Ange va se faire jour (déjà chez G. B. Armenini, 1587). Elle sera formulée avec une force singulière par Giovanni Pietro Bellori (1672). Il s'élève contre ceux qui abandonnèrent l'étude de la nature et vicièrent l'art avec la maniera définie comme une « idée fantastique fondée sur la pratique et non sur l'imitation ». En fait, Bellori, en condamnant les imitateurs de Michel-Ange et de Raphaël, initiateurs de cette mode artistique, situe historiquement ce mouvement. Les mêmes critiques se retrouvent chez Malvasia (1678), Baldinucci (1681), tandis que le terme de maniérisme est employé en France par Fréart de Chambray (1662), qui l'applique péjorativement à un groupe d'artistes comprenant le cavalier d'Arpin et Lagrenée. Enfin, en 1792, Luigi Lanzi crée le terme de maniérisme (manierismo) dont il donne une analyse critique entièrement négative (o sia alterazione del vero), lui déniant toute originalité puisqu'il est basé sur la seule imitation et la répétition des mêmes formules. Lanzi fixe aussi les limites chronologiques de ce style, qui vont du sac de Rome en 1527 à l'avènement des Carrache. Études et théories Maniérisme et baroque Au début du xixe siècle, on considérait encore généralement le maniérisme comme un style sans importance historique : c'est ainsi que Heinrich Wölfflin (1888) croyait à une évolution ininterrompue du classicisme de la Renaissance au baroque du XVIIe siècle, termes qui s'opposaient, pour lui, de façon antinomique, comme le classicisme et le romantisme. Cependant C. Gurlitt (1887) avait déjà décrit une Renaissance tardive avec Michel-Ange. Les artistes de cette époque, pour Alois Riegl (1908), ne sont pas de simples copistes, puisqu'ils ont créé un art original, l'art décoratif. H. Busse (1911) croyait aussi à l'existence de cette période intermédiaire. M. Dvorak (1918), en reprenant magistralement toutes ces intuitions, affirmait l'autonomie du style maniériste : pour lui, tandis que les élèves de Raphaël renouvelaient le langage décoratif, une nouvelle peinture religieuse naissait dont la conception était entièrement opposée au rationalisme naturaliste de la Renaissance. Les données essentielles de cet art sont le mouvement, la fantaisie, le drame, le subjectivisme et l'expressionnisme. Cette position, brillamment soutenue par Dvorak pour qui l'histoire de la culture est intimement liée à l'histoire des formes, ouvrit le long débat passionné de W. Weisbach (1919-1934) et de N. Pevsner (1921-1928) : le premier soutenant que l'art de la Contre-Réforme est l'art baroque, alors que, pour Pevsner, c'est le maniérisme, dont il valorise, en même temps, certains caractères comme le retour au gothique, par exemple, où, plus tard, G. Weise (1960) verra une caractéristique latente dans tout l'art du XVIe siècle (preuve pour lui de son manque d'originalité). En 1921, Lili Fröhlich-Bum mit l'accent sur une forme esthétique raffinée, différente de la tendance au baroque née de Michel-Ange, celle de l'art pour l'art, issue de Parmesan. En suivant l'influence de Parmesan, elle étudiait un courant stylistique d'une portée internationale qui s'étendait à tous les domaines de l'art. Le style anticlassique W. Friedländer, dès 1915, en analysant les caractères essentiels des œuvres du premier maniérisme (irréalisme spatial, allongement des proportions des figures, verticalisme), les interprétait comme une rupture avec l'idéal classique et l'expression d'une révolte contre l'esthétique de la Renaissance. Pour Friedländer, le maniérisme, c'est le style « anti-classique », dont l'origine se situe vers 1520, autour de Rosso, Pontormo et Parmesan dont l'historien valorise ainsi l'importance. Cette position était alors très nouvelle. Du même coup, les œuvres tardives de Michel-Ange (la Sixtine, la chapelle Pauline) deviennent les fondements du maniérisme. On pouvait d'ailleurs aussi saisir les prémices de cet art dans la Renaissance, idée qui sera reprise plus tard et développée par S. J. Freedberg (1961). Au premier maniérisme succède, selon Friedländer, une phase d'imitation puis, à la fin du siècle, une nouvelle réaction (1930), également originale, mais qu'il appelle anti-maniériste, réaction qui n'a, en fait, que des sympathies pour l'art de la Renaissance ; vers 1580, dans plusieurs centres d'Italie, des artistes, de Federico Barocci à Caravage, élaborent une nouvelle conception esthétique et des thèmes différents d'une importance majeure pour l'art du XVIIe siècle. illustration : La Circoncision, F. Barocci Federico BAROCCI, La Circoncision, huile sur toile, 56 cm X 251 cm. Musée du Louvre, Paris. L'intérêt croissant pour le maniérisme en Italie est prouvé par les recherches des historiens, en particulier R. Longhi, par la publication dans l'Histoire de la peinture italienne d'Adolfo Venturi des maîtres jusqu'ici négligés du XVIe siècle, par les études de G. Briganti (1940), de F. Arcangeli, de L. Becherucci (1944), de F. Barocchi et de tant d'autres. Pour une meilleure compréhension de cette période, on a été amené à la découper : déjà F. Antal (1927) discernait trois mouvements dont un classique au sein du maniérisme, S. J. Freedberg y voit aussi une succession de phases différentes (high Renaissance, first and second mannerism) ; quant à Briganti (1961), il discerne trois générations de la maniera, fait pour lui lié à l'histoire de l'art figuratif, ce qui différencie essentiellement le maniérisme du baroque. On a porté parfois sur cette période un jugement désespéré, comme Nicco Fasola (1949) : elle condamne, en bloc, avec le maniérisme, tout le XVIe siècle qui a desséché les sources vives de la créativité, par son intellectualisme et sa culture, position rappelant le jugement sévère de E. Battisti (1960) qui qualifie de « manquée » la révolte des maniéristes contre le classicisme de la Renaissance, car elle fut rejetée par les contemporains et même par la Contre-Réforme. Sociologie et maniérisme Certaines des remarques formulées au long de ces travaux rejoignent les études d'ordre sociologique qui visent à expliquer, à justifier ou à condamner le maniérisme. Ainsi, F. Antal (1948) lie sa naissance au déclin économique de l'Italie et à l'affaiblissement de la bourgeoisie. Cette analyse sociologique a été poussée à l'extrême par A. Hauser (1954) qui s'est efforcé, de plus, d'apporter sa propre contribution à la théorie du maniérisme, d'étudier son histoire en le situant par rapport à l'art moderne. Plus simplement, F. Würtemberger a aussi essayé de définir les relations entre le pouvoir et l'artiste à la Renaissance. Ces explications sociologiques sont évidemment en contradiction absolue avec celles qui voient dans le maniérisme une tendance permanente de l'esprit humain (E.R. Curtius, 1947 ; G.R. Hocke, 1957). Sources d'inspiration D'autres essais d'explication ont été cherchés du côté des sources artistiques : en 1969, on a rappelé l'influence du gothique et de Dürer, également parlé du rôle de Donatello et, avant lui, de l'influence antique particulièrement transmise par l'intermédiaire des sarcophages, par exemple pour telles ou telles poses caractéristiques des membres (C.H. Smyth), ou pour certains aspects de la technique (le dessin linéaire d'un Rosso serait, pour Shearman, dérivé des cistes étrusques). Enfin, on a justement souligné le rôle essentiel joué par la gravure, admirable moyen de diffusion des idées et des formes. On a aussi rappelé avec raison le rôle des courants philosophiques du XVIe siècle, celui des académies et des historiciens, l'influence de l'Église et des ordres religieux. L'art maniériste est un art savant, volontiers littéraire qui suit la tradition du « Ut pictura, poesis ». Les peintures à programme, les cycles allégoriques (galerie François Ier, fastes farnésiens), les emblèmes caractérisent l'inspiration des artistes de cour, s'adressant à un cercle lettré généralement restreint. Les fêtes de la première moitié du siècle, en particulier la plus belle : l'entrée de Léon X à Florence, préfacent les fêtes nombreuses et fort érudites auxquelles les plus grands artistes collaborèrent, tel Vasari lors des noces de François de Médicis et de Jeanne d'Autriche en 1565. À cette occasion défilaient des cortèges où les allégories et les triomphes étaient prétextes à une collaboration de tous les arts (poésie, musique, peinture, sculpture, costumes). Les pompes funèbres suscitaient les mêmes recherches (funérailles de Côme de Médicis, 1571). Dans la seconde moitié du siècle, ces fêtes s'accompagnaient de toute une architecture de fantaisie (arcs de triomphe, théâtre) ; elles donnèrent lieu à la publication de livrets. Elles atteignirent aussi à un éclat remarquable en France (fêtes des Valois). La peinture Caractères généraux des œuvres Toute analyse des caractères généraux de la peinture maniériste s'est révélée impossible en raison de la multiplicité des œuvres réalisées en une très longue période de temps. On ne peut dégager que de grands traits qui valent surtout pour les productions relevant du courant de la maniera : – Primat du décoratif qui implique des conventions spatiales : juxtaposition des figures, plans superposés, raccourcis et « tours de force » (Domenico Beccafumi, Descente aux limbes, pinacothèque de Sienne). – Aucune harmonie d'ensemble, ni dans la composition ni dans la couleur (Bronzino, Allégorie, National Gallery, Londres). – Allongement des formes (Parmesan, Madone au long cou, Offices, Florence). – Angularité (Rosso, Déposition de Volterra), ou au contraire style « coulant » (Perino del Vaga, Le Martyre des Dix Mille, Albertina, Vienne). illustration : La Déposition de Croix, Rosso Fiorentino Rosso Fiorentino, La Déposition de Croix. 1521. Huile sur bois. Pinacothèque de Volterra, Italie. – Abstraction du dessin, de la couleur ou de la forme, parfois des trois à la fois (Pontormo, Déposition, Santa Felicità, Florence). illustration : La Déposition de Croix, J. Pontormo Jacopo Pontormo, La Déposition de Croix, 1526-1528, huile sur bois. Santa Felicità, Florence, Italie. – Forme caractéristique : la forma serpentinata qui exagère le contraposto classique (Salviati, Charité, Offices, Florence) et montre la figure sous plusieurs angles différents en des rythmes opposés. – Beauté des détails : la perfection des objets maniéristes est la confirmation de ce goût profond pour la précision minutieuse (cassette Farnèse, musée de Capodimonte, Naples ; salière de Cellini , kunsthistorisches Museum, Vienne ; casque et armure de parade de Charles IX, Louvre, Paris), l'ornement y répète souvent à petite échelle les motifs mêmes des grandes architectures, mais avec une fantaisie et une constante licence. illustration : Salière de François Ier, B. Cellini (2 éphèbes nus dont l'un prend le rôle de Neptune) Benvenuto Cellini, Salière de François Ier. Entre 1540 et 1545. Or et émail. Kunsthistorisches Museum, Vienne. Ce style « miniature » est aussi typique du goût maniériste : on le voit en particulier apparaître dans la gravure et le dessin. Les artistes et les réalisations Il ne peut être question de citer tous les artistes, mais il est nécessaire de nommer, à propos des principaux centres, les plus importants d'entre eux : on a tendance à admettre aujourd'hui la réalité du courant de la maniera, tel qu'il a été défini plus haut, en relation avec l'art de la Renaissance, précédant une Renaissance « tardive » où se développent diverses formes maniéristes qui impliquent certaines conventions ou formules. Dans un premier survol, il faut donc évoquer rapidement les principaux aspects de ces deux tendances, d'abord en Italie, où sont nées ces formes d'art, puis dans le reste de l'Europe où elles ont rayonné. Le foyer du maniérisme : l'Italie Rome Le rôle fondamental joué par Michel-Ange sur la formation de la maniera et son influence sur les artistes italiens a été souligné par tous les historiens récents : le Tondo Doni (1505-1506, Offices, Florence), le carton de la Bataille de Cascina (1504), la voûte de la Sixtine (1508-1512), qui offraient une conception de l'espace tout à fait personnelle, avec une expression dramatique et dynamique des formes, fournirent aux jeunes artistes d'innombrables motifs d'inspiration. Par la suite, Le Jugement dernier (1541), la Crucifixion de saint Pierre et la Conversion de saint Paul (1542-1550) leur apportèrent des solutions de plus en plus hardies et l'exemple d'un art dont le mysticisme s'écartait résolument du naturalisme de la Renaissance classique. illustrations : Sainte Famille ou Tondo Doni, Michel-Ange MICHEL-ANGE, Sainte Famille ou Tondo Doni, détrempe sur bois. Galleria degli Uffizi, Florence. La Conversion de Saül, Michel-Ange MICHEL-ANGE, La Conversion de Saül, fresque. Chapelle Pauline, Vatican. On pourrait noter chez Raphaël (mort en 1520) une évolution semblable : contrastant avec l'univers équilibré de la chambre de la Signature (1511), la chambre d'Héliodore (1511-1514) et surtout la chambre de l'Incendie (1511-1517), peintes avec la collaboration de ses élèves sous la direction de Jules Romain (Giulio Romano, 1499-1546), montrent une étonnante force dramatique. Dans la Transfiguration (Vatican), on peut constater une rupture totale d'équilibre dans la composition ; de plus, la mimique expressive des personnages peut déjà être qualifiée de maniériste. illustration : Héliodore chassé du temple, Raphaël RAPHAËL, Héliodore chassé du temple - Détail, fresque. Chambre d'Héliodore, Vatican. À la Farnésine, que le riche banquier Agostino Chigi avait fait construire par Peruzzi (1508-1511), Les Métamorphoses d'Ovide, contrastant avec cette inspiration grandiose ou terrible, ouvrirent à Raphaël et à ses élèves le monde heureux de la mythologie. Déjà, sur les chantiers archéologiques de Rome, à la Domus Aurea ou à la maison de Titus, ils avaient trouvé un répertoire naturaliste et fantastique que le pinceau agile de Giovanni da Udine fera s'épanouir dans le décor de « grotesques » des loges vaticanes. illustration : Villa Farnésine, Rome Villa Farnésine, Rome. Architecte : Baldassare Peruzzi. L'école de Raphaël surtout, avec Jules Romain, a joué un rôle essentiel dans la diffusion de ce goût. À Mantoue, où il s'établit dès 1523 au service de Frédéric de Gonzague, Jules Romain put donner toute sa mesure au palais ducal, mais surtout au palais du Té à l'architecture anticlassique, où le système décoratif complexe et raffiné unit le stuc et la peinture. L'inspiration recherchée des fresques aux thèmes érotiques (salle de Psyché) ou allégoriques, à la gloire des Gonzague (salle des Géants), va de pair avec les effets illusionnistes, les raccourcis audacieux et le luminisme fantastique. L'influence de certains autres élèves de Raphaël, qui furent aussi de grands décorateurs, n'est pas non plus négligeable : dans le palais Doria, à Gênes, Perino del Vaga (1501-1547) rivalise par ses thèmes et son élégance avec Jules Romain au palais du Té. De passage à Florence, en 1523, après avoir orgueilleusement espéré l'emporter sur Masaccio, il offrira à l'admiration générale le carton de la Bataille des Dix Mille, synthèse du nouvel idéal romain de grâce, de variété et de virtuosité, et l'une des premières manifestations du maniérisme. Dans la deuxième partie de sa carrière, son activité à Rome est capitale (château Saint-Ange). De même Polidoro da Caravaggio (1500-1543), formé sur le chantier des Loges, peintre de façades de palais, admirable paysagiste (San Silvestro al Quirinale) épanouira en Sicile un talent expressionniste remarquable (Montée au Calvaire, musée de Capodimonte, Naples). illustrations : Palais du Té, Mantoue Palais du Té, Mantoue (Italie). Architecte : Giulio Romano. La Chute des titans, G. Romano Giulio Pippi (Giulio Romano) (1499-1546), La Chute des titans, 1526. Détail d'une fresque (1526-1535) peinte sur le plafond du Palazzo del Te, salle dei Giganti de Mantoue. Sous le pontificat de Paul III, des conditions sociales et économiques favorables vont permettre un nouvel essor artistique stimulé, d'ailleurs, par un regain de ferveur religieuse. Les chefs-d'œuvre de Michel-Ange (Le Jugement dernier, la chapelle Pauline) offrent alors aux artistes les pages les plus maniéristes de toute sa carrière. C'est sous cette influence et souvent grâce à la médiation de Sebastiano del Piombo (1485-1547) que se placent les meilleures œuvres de Jacopino del Conte (1510-1598 ; oratoire de San Giovanni Decolato), de Daniele da Volterra (1509-1566 ; Déposition, Trinité des Monts), culture à laquelle se rattache, aussi, le Vénitien Battista Franco, Marco Pino ou Marcello Venusti. La décoration de l'oratoire du Gonfalon (1568), à laquelle collaborèrent de nombreux artistes, est caractéristique de la dévotion de la Contre-Réforme et d'une reprise du formalisme maniériste. La participation de Raffaellino da Reggio (1550-1578) à cet ensemble frappe par sa qualité et sa force (Le Christ devant Pilate), caractères que l'on retrouve dans Tobie et l'ange (galerie Borghèse), dont l'élégance évoque les maniéristes nordiques avec lesquels l'artiste sera d'ailleurs en contact à Caprarola. illustration : La Mort d'Adonis, S. del Piombo Sebastiano del Piombo, La Mort d'Adonis. Vers 1511. Huile sur toile. 189 cm X 285 cm. Musée des Offices, Florence, Italie. Un des éléments majeurs à Rome va être la domination exercée par les frères Zuccari dans la seconde moitié du XVIe siècle. Taddeo Zuccaro (1524-1566), après avoir travaillé à la villa Giulia sous la direction de Prospero Fontana, donne son œuvre maîtresse au palais Farnèse de Caprarola (salle des fastes farnésiens). Dans la somptueuse villa élevée par Vignole pour le cardinal Alexandre Farnèse, il peignit avec son frère Federico et de nombreux artistes, dans une gamme de tons clairs, des fresques que l'on a qualifiées d'« exquisement féodales ». L'art de Taddeo montre un retour vers Raphaël et l'abandon de Michel-Ange, tout autant que l'expression d'une piété « contre-réformiste » (Pietà, galerie Borghèse). Toutes ces tendances seront reprises et accentuées par son frère Federico (vers 1540-1609). Académicien (1577), ce dernier termina les œuvres de Taddeo ; il exerça une vive influence par ses propres décorations, ses nombreux voyages et ses écrits comme l'Idea de' scultori, pittori ed architetti (1607) où apparaît la fameuse distinction entre le disegno interno (l'idée) et le disegno esterno (la forme). illustration : Charles Quint et Alexandre Farnèse à Worms, T. Zuccaro Taddeo ZUCCARO, Charles Quint et Alexandre Farnèse à Worms, fresque de la Salle des fastes farnésiens. Villa Farnèse, Caprarole, Italie. Déjà les réticences contre la maniera se faisaient jour quand les héritiers des Zuccari, comme le cavalier d'Arpin (mort en 1640), continuaient encore à décorer avec une virtuosité toute gratuite les murs des palais : les Carrache et Caravage avaient en effet livré l'essentiel de leur message et ouvert la voie à la réforme nécessaire du XVIIe siècle. La Toscane C'est autour de personnalités exceptionnelles (Pontormo, Rosso, Beccafumi) que vont se cristalliser les inquiétudes et les recherches, déjà sensibles dans les audaces colorées d'un Andrea del Sarto (1486-1531), dont l'influence fut capitale à l'Annunziata où se côtoyaient les artistes les plus doués du temps, tous ses élèves ou collaborateurs, comme Pontormo et Rosso. La méditation des chefs-d'œuvre de Léonard (dont l'influence a été très grande et doit être mise en parallèle avec celle de Michel-Ange et de Raphaël), de Donatello, la diffusion des gravures de Lucas de Leyde et surtout de Dürer aideront ces jeunes à se libérer formellement et spirituellement, plus totalement que ne l'ont tenté avant eux Piero di Cosimo ou Filippino Lippi, déjà en opposition, cependant, avec l'idéal d'harmonie et d'équilibre d'un Fra Bartolomeo (1475-1517). Des artistes étrangers, comme Alonso Berruguete (env. 1485-1561), présents à Florence entre 1508 et 1516, s'en détacheront plus aisément encore, et leur exemple fut important pour Rosso. Avant lui, Jacopo Pontormo (1494-1557) dans les Histoires de Joseph, peintes pour la chambre nuptiale de Gian Francesco Borgherini, avait brisé les cadres de l'espace traditionnel et mis l'accent sur l'expression hallucinée des visages. Cette tendance s'accroît sans cesse dans son œuvre (Vertumne et Pomone, Poggio a Cajano, 1521) ; à partir de la Passion du Christ (chartreuse de Galuzzo, apr. 1522), de la Déposition (Santa Felicità, Florence), son art, de plus en plus irréaliste, va trouver son aboutissement extrême et désespéré dans la décoration du chœur de San Lorenzo dont on peut suivre les étapes dernières dans le journal de l'artiste. Ses dessins fiévreux ou étrangement composés, à l'écriture nerveuse ou parfois très recherchée, tiennent une place essentielle dans l'élaboration d'une œuvre dont l'accent est étonnamment moderne. Plus original encore, Rosso (1495-1540) affirme dès ses premières œuvres certaines (Assomption, 1517, cloître de l'Annunziata, Florence ; Madone et saints, 1518, Offices, Florence) une indépendance qui culmine en 1522 dans la célèbre Déposition de Volterra, mouvementée, aux formes géométriques, à la couleur intense et irréelle. L'expérience romaine met Rosso en contact avec les chefs-d'œuvre de Michel-Ange et de Raphaël. À Rome, il se lia avec Perino del Vaga, avec qui il collabora, et Parmesan. Le chef-d'œuvre de cette période, Le Christ mort (Museum of Fine Arts, Boston) est un parfait exemple d'un des moments les plus raffinés de la bella maniera. Après le sac de Rome, pendant les années où il erre de Borgo San Sepolcro, Città di Castello, Arezzo à Venise, l'artiste, maître de ses moyens d'expression, donne libre cours à une inspiration souvent étrange, abandonnant tout à fait le réalisme de la Renaissance pour exalter au maximum des trouvailles formelles et une recherche constante de beauté expressive (Résurrection avec des saints, Città di Castello). Appelé à la cour de Fontainebleau par François Ier en 1530, Rosso y crée un nouveau style décoratif et introduit en France, avec la Renaissance, le maniérisme. L'œuvre du Siennois Domenico Beccafumi (1486-1551), qui travailla à Rome (successivement entre 1510 et 1512, en 1519), à Gênes (en 1533-1535) et à Florence, possède un luminisme étrange (Naissance de la Vierge, pinacothèque, Sienne) qui confère un aspect irréel à ses figures précieuses (Saint Michel, Carmine, Sienne ; Christ aux limbes, pinacothèque, Sienne), usant d'une gamme de couleurs intenses (décoration du palais Bindi-Sergardi, Sienne), sans harmonie d'ensemble. Son univers est celui d'un visionnaire d'une fantaisie raffinée. On distingue nettement les créateurs de la maniera des artistes qui travaillèrent à leur suite, à Florence, où se développe un art de cour favorisé par le nouvel essor des Médicis et la politique culturelle et artistique du duc Côme. Parmi ces artistes de cour, les plus originaux sont des portraitistes raffinés comme Bronzino (1503-1572), ancien collaborateur de Pontormo, dont les effigies froides et idéalisées (Bartolomeo et Lucrezia Panciatichi, Offices, Florence) sont une version sophistiquée des élégances de Parmesan. L'art très intellectuel de Bronzino pare d'un charme ambigu des allégories au symbolisme complexe (National Gallery, Londres) et dépouille de leur pathétique les scènes religieuses (telle la Déposition de Besançon). Ce sont aussi, parfois, de grands décorateurs comme Francesco Salviati (1510-1563) dont les fresques du palais Ricci-Saccheti (1553-1554), par leur fantaisie, leur légèreté de couleur et leur élégance, constituent un épisode particulièrement heureux ; et, enfin, des personnalités éminentes par la variété de leurs intérêts comme Giorgio Vasari (1511-1574), peintre, architecte, homme politique, « impresario » des fêtes et des cérémonies de Florence, historiographe. Son activité artistique, qui le mena à Bologne, à Naples, à Rome, se stabilisera à Florence où il glorifiera les Médicis au Palazzo Vecchio non sans rhétorique et académisme. Il est cependant capable de fraîcheur et de grâce, comme dans le Persée et Andromède du Studiolo de Francesco Imo. Dans cette petite pièce, sorte de musée où le prince rassemblait les objets les plus précieux de sa collection, le programme décoratif fut imaginé par le lettré Vincenzo Borghini sur le thème des quatre éléments et commencé en 1570 par Vasari et ses élèves (Poppi, Naldini, Morandini, Allori, Santi di Tito, Maso da San Friano, Cavalori, Macchietti, Zucchi et Stradano). Les compositions aux couleurs claires, aux personnages élégants et maniérés sont typiques du goût recherché de ces artistes de cour dont l'inspiration reste le plus souvent superficielle et la portée limitée. illustrations : Isabelle de Médicis, Bronzino Angelo di COSIMO di MARIANO dit BRONZINO, Isabelle de Médicis. Galleria degli Uffizi, Florence, Italie. Allégorie du triomphe de Vénus, Bronzino Agnolo di Cosimo, dit Bronzino, Allégorie du triomphe de Vénus. Vers 1540-1550. Huile sur bois. 146 cm X 116 cm. National Gallery, Londres. Palazzo Vecchio, Florence Palazzo Vecchio, Florence, salle de l'Audience. Décor de Benedetto et Giuliano da Maiano, fresques de Francesco Salviati. Persée et Andromède, G. Vasari Giorgio Vasari (1511-1574), Persée et Andromède, huile sur ardoise, 1572. Palazzo Vecchio, Florence, Italie. Parme Corrège (1489-1534) joua à Parme un rôle analogue à celui d'Andrea del Sarto à Florence. Ses grandes décorations (camera di San Paolo, 1519 ; coupole de San Giovanni Evangelista, 1520-1523 ; coupole du Dôme, 1524-1530) inspirèrent par leur illusionnisme audacieux les décorateurs maniéristes bien avant les baroques. Dans ses madones, l'élégance des gestes, la grâce sont un prélude aux recherches de Parmesan (1503-1540). Il devait en effet exercer sur ce dernier une influence d'abord prépondérante sur les chantiers du Dôme et de San Giovanni Evangelista. À la Rocca di Fontanellato, dans le boudoir de Paola San Vitale, Parmesan peint un hommage à Corrège qui est déjà un remarquable exemple de sa propre manière, d'une élégance raffinée. Pendant son séjour à Rome (1524-1527) où il eut l'occasion d'étudier Michel-Ange et Raphaël, de connaître Perino del Vaga et Rosso, Parmesan accentua l'aspect linéaire de sa peinture, cherchant des rythmes expressifs (Vision de saint Jérôme, 1526, National Gallery, Londres), tendance qui s'affirmera encore par la suite. La Madone au long cou (Offices, Florence) avec l'allongement volontairement excessif de la figure, le rythme fluide et serpentin, la composition déséquilibrée est une œuvre toute d'élégance et de grâce, abstraite et fantastique à la fois. Dans la décoration inachevée de la voûte de la Steccata de Parme, il poursuivit, avec angoisse, le même idéal de perfection formelle. illustration : La Vierge au long cou, Parmesan PARMESAN, La Vierge au long cou, huile sur bois. Galleria degli Uffizi, Florence. Grâce aux nombreux dessins et à la gravure, l'art de Parmesan fut largement diffusé en Émilie et en Vénétie (où il marqua Schiavone, Tintoret, Véronèse et Bassan). Parmesan fut aussi un modèle pour Girolamo Mazzola Bedoli (env. 1500-1569), pour Lelio Orsi (1511-1587), qui se distingue, cependant, par une tendance au fantastique et au grotesque, et pour Jacopo Bertoja (1544-1574), décorateur raffiné du palais du Jardin à Parme. Bologne, où Parmesan avait laissé des chefs-d'œuvre (Saint Roch, San Petronio ; La Vierge avec sainte Marguerite et des saints, Pinacothèque), n'échappa pas à son emprise. Francesco Primaticcio (Primatice, 1505-1571), qui fit carrière à Mantoue puis à Fontainebleau, en fut largement imprégné, tout comme, à Modène, Nicolò dell'Abate (1509-1571), auteur à Bologne de remarquables décorations (palais Torfanini, palais Poggi), qui devint en 1552 son collaborateur en France. À côté des fresques gracieuses de Nicolò au palais Poggi (Concerts, Paysages, Histoire de Camille), Pellegrino Tibaldi (1523-1596) devait laisser des compositions où l'influence de Michel-Ange est interprétée avec une liberté et un humour souvent caricaturaux (Histoire d'Ulysse). Sa culture, son dessin magnifique, sa fantaisie le mettent bien au-dessus des autres maniéristes bolonais, décorateurs prolixes et alors fort réputés, comme Prospero Fontana (1512-1597), Ercole Procaccini (1515-1595) et Orazio Sammachini (1532-1577). Venise On a longtemps exclu Venise de la « crise maniériste ». Les historiens (comme Nicco Fasola, Coletti, Palluchini) ont, à juste titre, protesté contre cette exclusion dans les années 1940. En fait les traces de maniérisme sont rares avant 1530 : toutefois Pordenone annonce ce courant, ainsi que l'étrange Lorenzo Lotto (env. 1480-1556), qui y fut peut-être amené autant par son tempérament, qui le pousse vers l'insolite (Annonciation, Recanati), que par sa connaissance de l'art nordique. Les infiltrations maniéristes viennent surtout de Florence avec Vasari et plus tard Salviati, Zuccaro, de Rome par Titien et de Parme avec Parmesan. Titien, contrairement à ce que l'on croyait autrefois, n'y échappa pas, il avait d'ailleurs été marqué par Pordenone avant la décisive expérience romaine. Le plafond de la Salute (env. 1543-1544) est l'exemple le plus frappant du maniérisme de Titien ainsi que le Christ couronné d'épines (env. 1542, Louvre), solennelle variation sur le thème du Laocoon. À côté de lui, cependant, Tintoret, d'ailleurs attiré par l'art de Michel-Ange, fait figure de vrai maniériste, surtout après le voyage à Rome au lendemain duquel il abandonne une première manière, où il était sous l'influence de Parmesan, pour devenir, selon Vasari, « l'esprit le plus fantastique et plus extravagant que la peinture ait jamais produit » (Histoire de saint Marc , env. 1562 ; Scuola di San Rocco, 1565-1567). Sa technique est vibrante ; il multiplie les formes allongées, les compositions animées, les raccourcis suggestifs, peignant un univers de visionnaire où apparence et réalité se mêlent intimement. illustration : Translation du corps de saint Marc, Tintoret TINTORET, Translation du corps de saint Marc, huile sur toile. Galleria dell'Accademia, Venise. Véronèse (1528-1568), tout en sachant préserver l'harmonie de la Renaissance, développe un style de décorateur (villa Maser) qui se ressent des expériences maniéristes et les rappelle parfois, en particulier dans le traitement de certains thèmes, tel le paysage. On a déjà rappelé à propos de Parmesan le nom de Schiavone qui a donné une interprétation particulièrement élégante des motifs du maniérisme émilien grâce à sa technique en « esquisse », qui met en valeur la sinuosité expressive. Différent est le cas des Bassano, Jacopo et ses fils, qui évoluèrent à partir des mêmes influences (celle de Parmesan, en particulier, est très visible dans certaines œuvres : Décapitation de saint Jean-Baptiste, Copenhague). illustration : Le Repos durant la fuite en Égypte, J. Bassano Jacopo Bassano, Le Repos durant la fuite en Égypte, huile sur toile. 118 cm x 158 cm. Pinacothèque Ambrosiana, Milan. Si les liens de Venise avec le courant maniériste ont été soulignés, on a de même étudié certains centres jusqu'ici quelque peu oubliés : Gênes, que domine l'étrange et prolifique Luca Cambiaso ; Naples, où Roviale Spagnolo a laissé une empreinte décisive ; enfin la Lombardie et le Piémont où, jusqu'au réveil du XVIIe siècle, des artistes aussi originaux que Del Cairo, Giovan Battista, Crespi, Cerano et Tanzio da Varallo s'exprimèrent avec une violence et un pathétique qui rappellent souvent l'exemple de Gaudenzio Ferrari (mort en 1546). L'architecture et la sculpture L'architecture pose un problème particulier, car elle doit tenir compte des réalités et des considérations pratiques avant de donner lieu à de pures recherches de style. Cependant, on a pu déceler des caractères maniéristes dans l'architecture du XVIe siècle, un des plus remarquables étant la « tension », pour M. Tafuri (1966) qui montre comment l'architecture maniériste s'insère dans le processus général de laïcisation de l'art européen : le recherché, le monstrueux ou le démoniaque s'y justifient comme l'expression de la vie universelle. Pour d'autres historiens, l'architecture de cette époque se rattache en réalité soit au maniérisme, soit au premier baroque (Pevsner, Chastel). En fait, les difficultés rencontrées pour la peinture du XVIe siècle existent aussi pour l'architecture, dont les manifestations sont parfois opposées. C'est pourquoi il faudrait, selon Lotz (1963), exclure du courant maniériste Palladio et Vignole dont les structures sont en réalité classiques. Les modèles En architecture, comme en peinture, l'exemple de Raphaël et de Michel-Ange fut décisif. Le premier crée une architecture avant tout picturale, d'une symétrie élégante et harmonieuse, où la variété des motifs a pour fonction d'animer les façades (palais Branconio dell'Aquila, élevé à l'emplacement de la colonnade du Bernin, aujourd'hui détruit). La richesse d'inventions y était accentuée par l'emploi de marbres colorés, de stucs (probablement peints), de fresques (sans doute en grisaille). C'est, par excellence, le style que l'on croit « antique », mais dont les références classiques, évidentes, sont employées, toutefois, avec une recherche et un raffinement constants. Autre exemple de ce style, le palais Madame, élevé pour le futur Clément VII, Jules II de Médicis : les allusions antiques, empruntées à la Domus Aurea y sont encore plus explicites. Les mêmes caractères marquent l'œuvre « imaginative » de Baldassare Peruzzi (1481-1536 ; La Farnésine (1508-1511), d'une élégance encore toute raphaélesque, est une synthèse précieuse de tous les éléments « antiques » à la mode mis à la disposition d'un bourgeois romain du XVIe siècle. Au palais Massimo (1530), les effets de contrastes (galerie d'entrée) et la virtuosité qui l'emporte sur les nécessités architectoniques diffèrent profondément du « classicisme » de la Farnésine. Ce parti, qui choisit la puissance plutôt que la grâce, rappelle l'évolution analogue également poursuivie, à partir d'exemples raphaélesques et antiques, par Jules Romain au palais du Té (1532-1534), « véritable modèle de l'architecture et de la peinture » (Serlio) où il se montre aussi disciple de Michel-Ange. Cependant, sous l'influence de Raphaël, l'ornement domine encore au palais Spada, au palais Negroni (édifié à Gênes vers 1560, attribué à Giambattista Castello) dont la façade disparaît sous un manteau de fresques, de stucs et de pierres. illustration : Palais du Té Le cortile d'honneur, abritant la loggia delle Muse, du palais du Té, dessiné par l'architecte italien Jules Romain (1499-1546), à Mantoue, Italie. La contribution majeure de Michel-Ange à l'architecture maniériste apparaît à San Lorenzo de Florence dans la chapelle Médicis (vers 1521) et au vestibule de la Laurentienne (1525). Dans la première, d'une conception toute cérébrale, la froide stylisation, fortement scandée, oppose en une tension contenue le rythme des verticales et des horizontales. Dans la seconde, l'escalier posé par Ammanati, en 1559, introduit, dans un ensemble qui se veut étrange et déconcerte par sa grandeur, une notion de mouvement inharmonique dont les intentions sont soulignées par l'accentuation volontaire des rythmes courbes. Tous les éléments du décor paraissent utilisés sans tenir compte de leur vocation première ; les colonnes ne portent pas et les fausses fenêtres flottent sur les parois aveugles. illustrations : Nouvelle sacristie, Saint-Laurent, Florence Nouvelle sacristie ou chapelle des Médicis, Saint-Laurent, Florence. À gauche, tombeau de Laurent, duc d'Urbin ; à droite, tombeau de Julien, duc de Nemours ; au fond, tombeau inachevé de Laurent le Magnifique et de son frère Julien. Architecte : Michel-Ange. Vestibule de la bibliothèque Laurentienne, Florence Bibliothèque Laurentienne, Florence. Vestibule. Architecte : Michel-Ange. Tous ces traits de l'architecture de Michel-Ange (tension, utilisation anticlassique des motifs classiques) sont autant de nouveautés qui vont frapper définitivement et caractériseront le style maniériste ; dans l'aménagement de la place du Capitole à Rome, Michel-Ange donna un magnifique exemple de son génie synthétique, très éloigné du raffinement et des « coquetteries » de l'art de Raphaël, de la tension dynamique intense d'un art où revit la grande manière antique romaine. illustration : Place du Capitole, Rome Place du Capitole, Rome. Architecte : Michel-Ange. Thèmes de l'architecture L'escalier Certains thèmes, comme celui de l'escalier, ont donné lieu à des variations pleines d'imagination. À l'intérieur de l'église de Santa Trinità de Florence (1574-1576), Bernardo Buontalenti avait créé un accès théâtral et insolite vers l'autel (aujourd'hui à Santo Stefano de Florence). À la villa Farnèse de Caprarola (dont le soubassement rappelle qu'elle fut d'abord conçue comme une forteresse par Antonio de San Gallo le Jeune et Peruzzi), Vignole (1507-1573) ajoute la majesté et la fantaisie d'un double escalier en demi-cercle dont le rythme s'adapte à celui du paysage. La villa Le plus souvent, la villa, création typique de cette civilisation raffinée, utilise au mieux le cadre naturel : la villa d'Este à Tivoli, due à Pirro Ligorio (1550), est le chef-d'œuvre de cette savante mise en scène où les perspectives, les fontaines et les arbres créent un cadre enchanteur à l'architecture. La villa a généralement des portiques et des terrasses qui permettent de jouir du paysage, comme la villa Médicis de Lippi (vers 1540) à Rome ; à la villa Giulia, Vasari et Ammanati cherchèrent, selon un concept tout maniériste, à introduire toutes les nuances de la variété par un système successif de passages des cours vers le cœur de la nymphée. illustrations : d'Este, Tivoli, Cent-Fontaines Allée des Cent-Fontaines, villa d'Este, Tivoli (environs de Rome). Architecte : Pirro Ligorio. Nymphée de la villa Giulia, Rome Villa Giulia, Rome. Le Nymphée. Architectes : Giorgio Vasari, Vignole et Bartolomeo Ammannati. Le jardin Autour de ces villas règne le jardin : avec un art consommé, Buontalenti ou Tribolo l'ordonnent d'une façon théâtrale et raffinée, jouant de toutes les possibilités de surprise. Ces jardins abritent des curiosités (orgues aquatiques), des grottes (celles de Pratolino étaient particulièrement remarquables ; on les imita en France : grotte du jardin des Pins à Fontainebleau, grotte de Meudon, etc.), des jeux de perspectives (Petraia ou Boboli), des statues géantes (L'Apennin de Jean de Bologne), des monstres mystérieux comme ceux, autrefois peints, de Bomarzo (près de Viterbe), monstres que l'on retrouve sur les cheminées (palais Thiene, Vicence), les portails (palais Zuccari, Rome). Ces jardins sont ornés de multiples fontaines au milieu des verdures et des massifs, fontaines qui animent aussi les villes comme la grande fontaine de Neptune de la place de la Seigneurie à Florence (1563-1571), chef-d'œuvre d'Ammanati où les naïades et les faunes de Jean de Bologne et de Pietro Tacca font oublier le Biancone de Bandinelli. Tout près de la place, Vasari aménagea les abords et l'intérieur du Palazzo Vecchio : l'érudit architecte officiel des ducs de Toscane lança la galerie ouverte des Offices (1560), qui emprunte certains de ses effets à la Laurentienne, et imposa un nouvel angle de vision des édifices qui souligne l'élancement de la tour. Le long couloir qui unissait à travers le fleuve le pont de Santa Trinità au palais Pitti semblait ouvrir ces architectures sur la campagne en prolongeant la ville au-delà de l'Arno. La sculpture Comme pour la peinture et l'architecture, les chefs-d'œuvre de Michel-Ange, spécialement la Victoire (1506, Palazzo Vecchio, Florence), les tombeaux des Médicis (1521-1526), la Pietà (1550-1553, Dôme, Florence), le Christ (Santa Maria sopra Minerva), fournirent aux jeunes artistes des modèles parfaits de la figura serpentinata, de la variété, de l'invention, tandis que l'ultime Pietà Rondanini (Castello Sforzesco, Milan), image d'un monde délivré de tout poids terrestre, leur donnait l'exemple d'une forme non finie et de l'abandon total du naturalisme de la Renaissance. On citera parmi les disciples de Michel-Ange les noms d'Ammanati (1511-1591), qui travailla sous la direction du maître à Florence, de Montorsoli et de Tribolo (env. 1500-1550). Cependant, certains le suivirent parfois avec lourdeur et sans esprit ; ainsi Baccio Bandinelli (1488-1560) dans le Biancone de la place de la Seigneurie à Florence, si boursouflé, ou dans l'Hercule et Cacus (1534). Il rivalisa sans succès avec Benvenuto Cellini (1500-1571) dont le talent, savamment mis en valeur par ses soins, fut connu loin de Florence. Avec une technique parfaite et précieuse (salière de François Ier, Vienne), Cellini poursuit, en effet, à Florence comme à Rome, une recherche d'élégance maniérée dont l'idéal rappelle celui de Fontainebleau où l'artiste séjournera (la Nymphe d'Anet, Louvre). Le Persée (1553), à la Loggia dei Lanzi à Florence, est l'exemple typique de son art : les moindres détails y sont minutieusement ciselés avec une précision raffinée d'orfèvre, de façon que l'œuvre demeure parfaite sous tous les angles. L'élongation des proportions (dont Lodovico Dolce reconnaît l'importance dans son dialogue, L'Aretino) y est observée avec rigueur. Elle gagnera même le classique Sansovino et surtout Alessandro Vittoria à Venise. illustrations : Pietà Rondanini, Michel-Ange Michel-Ange, Pietà Rondanini. Vers 1552-1564. Marbre ébauché. Hauteur : 195 cm. Musée du château Sforza, Milan. Persée, B. Cellini Le Persée (1545-1554) de Benvenuto Cellini a été conçu, à la demande de Côme Ier de Médicis, pour prendre place, à Florence, parmi les statues réunies dans la Loggia dei Lanzi et sur la piazza della Signoria, en réponse au David (1501) de Michel-Ange comme à la Judith (1455-1460) de Donatello. Cependant, le meilleur représentant du maniérisme italien en sculpture devait être un Flamand, Jean de Bologne (Giambologna, 1529-1608) venu en Italie vers 1554. Ses statues incarnent le nouvel idéal de grâce (Vénus de Petraia, 1567), de mouvement et de variété (Rapt des Sabines, 1583, Loggia dei Lanzi, Florence). Ses œuvres sont parfois colossales comme le célèbre Apennin de Pratolino ou, au contraire, de petit format comme le Mercure (musée du Bargello, Florence), une des plus parfaites expressions de l'élégance et du mouvement en sculpture, pour laquelle Jean de Bologne utilise avec subtilité toutes les ressources du bronze. Sa réponse à propos d'un groupe représentant un enlèvement dont il avouait ne pas reconnaître le sujet est célèbre, réponse qui postule pour l'artiste le droit de rechercher avant tout l'art pour l'art. illustrations : L'Enlèvement des Sabines, J. Bologne L'Enlèvement des Sabines, groupe en marbre de Jean Bologne (Giambologna, 1529-1608). Logia dei Lanzi, à Florence, Italie. L'Apennin, J. Bologne Jean Bologne (1529-1608), dit Giambologna, L'Apennin, sculpture en briques, pierre, mortier, 1580-1582. Villa Demidoff, Pratolino, Italie. C'est le même but que poursuivent, jusqu'à la fin du siècle, avec un accent plus voluptueux, le Flamand Adrien de Vries qui travaille à Munich ou à Prague (Mercure et Psyché, 1593, Louvre) ou Hubert Gerhard (1540-1620) à Augsbourg (Vénus, Mars et Cupidon, env. 1590), tous deux formés à Florence. Ces artistes représentent au seuil du XVIIe siècle, dans le domaine de la sculpture, l'expression internationale des modes forgées en Italie au début de la Renaissance. Sous l'influence de la peinture, elles évoluent vers un jeu vivant d'ombres et de lumière. Une tendance plus traditionnelle issue de Florence par l'intermédiaire des sculpteurs travaillant à Milan, le Toscan Leone Leoni et son fils Pompeo, gagnera l'Espagne ; les portraits de Charles Quint y introduiront cette forme particulière du maniérisme. À Fontainebleau et à Paris, où les mêmes formules avaient été exploitées, la contribution de la sculpture est plus remarquable encore : la fontaine des Innocents de Jean Goujon (env. 1510-1568) est un des exemples les plus insignes du raffinement maniériste en terre française, dont le monument du cœur de Henri II, de Germain Pilon (env. 1537-1590), est une autre interprétation. Chez Goujon, comme chez Pilon, l'influence antique ou classique (Les Trois Grâces du monument du cœur de Henri II dérivent d'un modèle perdu de Raphaël, lui-même inspiré de l'antique), mêlée aux suggestions de Primatice, de Rosso et de Parmesan, compose un étrange équilibre entre le maniérisme et le classicisme : l'allongement des lignes, la préciosité des gestes relèvent du premier, l'équilibre des compositions fait penser au second. Pietro Francavilla (Pierre Francheville, 1540 ? -1615) apportera en France l'influence de Jean de Bologne, décisive pour les sculpteurs opérant à la fin du siècle, comme Barthélemy Prieur (mort en 1611) et Pierre Biard. Expansion du maniérisme À partir de 1530, il y eut une large expansion du style maniériste au-delà des frontières de l'Italie ; on ne peut en rappeler ici que quelques aspects. On admet aujourd'hui les caractères propres de ces divers types de maniérisme, que l'on croyait autrefois uniquement tributaires de l'Italie. C'est pourquoi, dans un article de 1965, Bialostocki a proposé de parler des maniérismes des divers pays d'Europe. Espagne Longhi a mis en évidence le rôle joué pour l'Espagne par Alonso Berruguete (il séjourne en Italie entre 1504 et 1517) qui devait devenir un des artistes majeurs du XVIe siècle espagnol avant Greco. Il a également insisté sur d'autres artistes remarquables, comme Pedro de Campana (Kempeneer) et l'étrange Pedro Machuca. Par leur liberté et leur audace, ils ont sans doute marqué de jeunes artistes florentins comme Rosso. Trop originaux, sans doute, pour plaire avec leurs compositions mystiques ou hallucinées, on leur préféra Moralès (el Divino, mort en 1586), l'interprète de la religion populaire, spécialiste des pietà. Greco, lui aussi, tranche sur le style conventionnel des peintres de cour. On a essayé de rattacher son œuvre aussi bien au baroque qu'au maniérisme ; par son mysticisme passionné, elle a servi d'exemple aux historiens qui, comme Dvorak, ont insisté sur les composantes spirituelles de l'art. L'allongement extrême des personnages, l'indépendance avec laquelle Greco adapte ses modèles (Titien, Tintoret, Dürer, Pontormo ou Perino del Vaga), les couleurs sans dominante harmonique, l'irréalisme spatial qui ira en s'accentuant de l'Enterrement du comte d'Orgaz jusqu'à la célèbre Vue de Tolède (1609) ou au Laocoon (1605-1609), aux tons livides, autant d'éléments qui incitent à considérer Greco comme le plus audacieux des peintres maniéristes. illustration : Le Christ chassant les marchands du temple, Greco Le Christ chassant les marchands du temple, huile sur toile du peintre Domenikos Theotokopoulos, dit Greco (1541-1614). National Gallery, Londres. Angleterre Les conditions historiques et artistiques favorisèrent l'art de cour en Angleterre où la volonté et le goût des souverains (Henri VIII, Élisabeth Ire) furent déterminants. Par rapport au reste de l'Europe, l'Angleterre est alors, dans le domaine artistique, souvent attardée, ce que la tradition gothique, « seul art véritablement anglais », explique en grande partie. Le renouvellement des thèmes et des techniques, imposé par les souverains, viendra d'Italie, de France et de Flandre. On ne peut plus guère en juger que sur de rares exemples : les documents (l'inventaire dit « Lumley » de 1590, en particulier) révèlent nombre de noms d'artistes inconnus aujourd'hui. Dans le domaine de l'architecture et de la décoration, l'impulsion décisive revient à coup sûr aux Italiens, qui apportèrent avec eux le maniérisme florentin et romain avec Toto (Antonio di Nunziato d'Antonio, mort vers 1557) ou Penni (Bartolommeo Penni, mort en 1553, frère de Luca Penni) et aussi bellifontain : à cet égard, le rôle de Nicola da Modena qui séjourna en Angleterre de 1537 à 1569, après avoir travaillé à Fontainebleau, où il subit l'influence de Primatice et surtout de Rosso, fut certainement capital. Les dessins pour un décor de galerie (Louvre) montrent une adaptation un peu sèche de la galerie François Ier. Le château de Non Such, malheureusement disparu, devait être le chef-d'œuvre de ce style maniériste. Dans le genre du portrait, si l'on excepte le cas d'Holbein le Jeune, les Flamands dominèrent ; ils sont encore mal connus, comme Luke Hornebaud (mort en 1544), et rares sont les portraitistes anglais, tel Gower (mort en 1596). Sous le règne d'Élisabeth, des considérations historiques et iconographiques expliquent l'aboutissement irréaliste du portrait : le contenu (l'allégorie) et l'exécution (la technique par à-plats, l'importance excessive donnée aux costumes et aux objets, le manque d'harmonie des couleurs) y relèvent du maniérisme. L'exemple le plus frappant et le mieux connu est la série des portraits d'Élisabeth Ire, série tardive puisqu'elle ne semble guère avoir débuté avant 1570. À côté de ces « icônes profanes », un grand artiste comme l'Anglais Nicholas Hilliard (mort en 1619), impose, selon le goût d'Élisabeth (le traité The Art of Limning, 1600, en témoigne), le genre de la miniature avec une perfection technique qui est aussi le reflet d'une approche psychologique attentive jusqu'à l'angoisse. Elle inspira également à son rival Isaac Oliver (mort en 1617), d'origine française, des images raffinées, très maniéristes dans leur minutie. illustrations : Portrait de Henry Percy, neuvième comte de Northumberland, N. Hilliard Nicholas Hilliard, Portrait de Henry Percy, neuvième comte de Northumberland, vers 1594, dessin miniature sur parchemin, 25,7 cm x 17,3 cm. Rijksprintenkabinet, Rijksmuseum, Amsterdam. Miniatures, A. Oliver Isaac OLIVER, Miniatures. Victoria and Albert Museum, Londres. Auparavant, d'autres étrangers comme Flicke Scrots (Stretes), qui quitte l'Angleterre en 1533, ou Hans Eworth (Ewouts) d'Anvers (mort vers 1574) mettent en page des allégories compliquées dans le style de Frans Floris ou de Jan Metsys ; leur froideur et la raideur linéaire déjà archaïque de leur style semblent fondre le goût traditionnel anglais avec la leçon du maniérisme international. France Un des centres maniéristes les plus remarquables, dont l'importance n'a pas été exagérée, se constitua à Fontainebleau sous l'impulsion des artistes italiens que François Ier appela à la cour (cf. école defontainebleau). Le château, centre d'une activité artistique intense, est véritablement une « école » dont la leçon répétée par des artistes français, nordiques, et même italiens va être diffusée bien au-delà des frontières. La décoration est la clef de ce style recherché élaboré par Rosso, Primatice et leurs collaborateurs : elle détermine le caractère essentiellement ornemental qui s'élabore dans les vastes ensembles de la galerie François Ier, de la chambre de la duchesse d'Étampes, de la salle de bal, de la galerie d'Ulysse. Le répertoire est celui des Italiens (mythologies et allégories) ; la fresque influence le coloris, généralement clair et froid comme la technique légère. La gravure met en valeur l'aspect linéaire des œuvres. Avec l'aide de collaborateurs remarquables, Luca Penni, Nicolò dell'Abate, surtout, cet art s'impose de telle manière que peu d'artistes français lui échappent. Il influence, notamment, les deux Cousin, le père (Eva Prima Pandora, Louvre) et le fils (Jugement dernier, Louvre). Mêlant réminiscences italiennes et flamandes, les artistes imaginent le thème des femmes nues vues à mi-corps (Dame à sa toilette, Dijon) dont la sensualité raffinée connut un grand succès jusqu'au milieu du XVIIe siècle. Parfois, les sujets impliquent une référence précise à l'actualité (Antoine Caron, Massacre des triumvirs, Louvre), mais toujours avec des résonances allégoriques et une extrême sophistication. Le goût de la miniature se traduit par la profusion des détails et des ornements (Étienne Delaune). À la fin du siècle, des contacts nordiques dans la seconde école de Fontainebleau (Toussaint Dubreuil, Ambroise Dubois, Martin Fréminet) la rattachent au maniérisme international : cela n'est pas sans analogie avec l'école de Prague à laquelle fait aussi penser l'artiste lorrain Jacques Bellange. # Sylvie BEGUIN L'Europe du Nord L'extension du phénomène maniériste dans l'Europe du Nord continue de faire l'objet de recherches et de mises au point qui visent à le situer par rapport aux courants italiens et à l'école de Fontainebleau. Comme le souligne B. Lossky, la peinture reste soumise, au début du XVIe siècle, aux traditions du gothique tardif, mais certains de ses caractères lui ont valu le qualificatif ambigu de « maniériste ». L'usage a consacré l'appellation de « maniérisme anversois », mais les œuvres auxquelles elle s'applique n'ont aucun lien avec la Renaissance, dont le maniérisme est l'héritier et aussi le contestataire ; sans connaître cette transition, l'Europe du Nord passera, au cours du siècle sous l'influence du maniérisme italien qui se fera sentir jusqu'au début du XVIIe siècle. Pays-Bas Aux Pays-Bas, à partir du retour de Rome, en 1524, de Jan van Scorel, et surtout de celui de Heemskerk, la connaissance directe des expériences italiennes va porter ses fruits. Ces artistes, appelés « romanistes », rapportent le goût de l'antique et les influences conjuguées du premier maniérisme romain et de Michel-Ange. Dès lors le jeu des influences ne cessera de s'enrichir, voire de s'entrecroiser. Frans Floris d'Anvers, qui marque le milieu du siècle, ajoute à sa prédilection pour Michel-Ange, l'influence de Tintoret, mais aussi des échos de Fontainebleau. Le maniérisme est un style international. Cependant, comme un grand nombre de ses compatriotes, Floris, dans ses portraits, reste fidèle aux traditions nationales de réalisme. Quant à Breughel, par ses sujets et par son style, il incarne la résistance. La dernière phase est certainement la plus brillante et connaît deux principaux centres de rayonnement. De Haarlem, les gravures de Golzius diffusent le maniérisme extrême de l'anversois Spranger. Mais Golzius lui-même en atténuera ensuite certains excès. Son évolution influence celle de Cornelis de Haarlem qui connaît par ailleurs l'art de Fontainebleau : Bethsabée au bain offre un heureux équilibre dans lequel la part donnée au paysage annonce les développements du XVIIe siècle. À Utrecht, cet intérêt est partagé par A. Bloemaert. Par ailleurs, celui-ci, comme Wtevael tire son maniérisme exacerbé des influences émiliennes, comme de celle de Michel-Ange. Dans Judith montrant au peuple la tête d'Holopherne, Bloemaert offre un exemple de dramatisation par des éclairages artificiels typiquement maniériste. Plus tard il saura se montrer sensible à de nouveaux courants, au contraire de Wtevael, qui restera fidèle aux tendances maniéristes. Domaines germanique et scandinave Dans les pays germaniques, Dürer, que ses recherches apparentent à la Renaissance, et Holbein, qui ne l'a pas ignorée, échappent à l'emprise maniériste. À cause de ses compositions mythologiques, prétextes à des compositions érotiques froides et raffinées, Cranach l'ancien a été associé au maniérisme, mais le canon de ses nus et leur angularité relèvent de la tradition gothique tardive que l'artiste prolonge jusqu'au milieu du XVIe siècle. En Suisse, le peintre réformé Nikolaus Manuel Deutsch, auteur de compositions moralisantes, est proche du style de Cranach. Chez ces deux artistes, le paysage, qui occupe une place importante, s'inscrit dans le courant dit de l'école du Danube, brillamment représenté par Altdorfer et W. Huber dans des paysages de caractère fantastique, annonçant le romantisme allemand, et qui ne doivent rien au maniérisme. C'est seulement dans le dernier tiers du siècle que vont se développer des foyers proprement maniéristes dans le Sud catholique, liés au mécénat des princes ou du patriciat marchand des villes impériales. La plupart des artistes sont des néerlandais ayant travaillé en Italie. Frederic Sustris, qui s'était formé au grand décor à Florence, passe du service des Fugger à Augsbourg à celui des ducs de Bavière à Munich, où le rejoint Peter de Wit, venant de Toscane. C'est en Italie que se forme le munichois Rottenhamer, représentant allemand du maniérisme international qui sera particulièrement influencé par Tintoret. Le foyer le plus fécond et le plus influent s'épanouira à Prague, à la fin du siècle, à la cour de l'empereur Rodolphe II. L'impulsion vint de l'anversois Spranger, formé en Italie à des expériences multiples : à Parme celle de Corrège et de Parmesan, à Rome celle des Zuccari, à Florence celle du sculpteur Giovanni Bologna qui influence le canon de ses figures. Van Aachen montre un sentiment de la couleur qui évoque Venise. J. Heinz de Bâle, tout en adhérant au maniérisme italianisant conserve des souvenirs de sa formation germanique. Allégories complexes et sujets érotiques des amours des Dieux, – comme Hercule filant aux pieds d'Omphale de Spranger – répondaient parfaitement aux goûts de Rodolphe dont le mécénat rappelle celui de François Ier et plus encore celui de Ferdinand de Médicis. illustration : Allégorie de la Paix, de l'Art et de l'Abondance, H. Aachen Hans AACHEN, Allégorie de la Paix, de l'Art et de l'Abondance, huile sur toile. Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie. Au début du XVIIe siècle, dans le Nord protestant, le comte de Schaumburg-Lippe fait décorer par des artistes maniéristes sa résidence de Bückeburg. Les royaumes de Suède et de Danemark eurent des souverains soucieux d'orner leurs résidences : au Danemark, le château de Frederiksborg comporte une fontaine du sculpteur Adrien de Vries. En Suède, le château de Kalmar conserve encore des appartements décorés de « cuirs » et de fresques qui évoquent l'influence du Rosso dans l'élaboration de ce courant international. # Marie-Alice DEBOUT Thèmes associés * ART EN EUROPE * MANIÉRISME * MANIÉRISME, peinture * SCULPTURE DE LA RENAISSANCE Bibliographie * G. B. Armenini, De'veri precetti della pittura, Ravenne, 1587 * F. Baldinucci, Vocabolario toscano dell'arte del disegno, Florence, 1681 * G. P. Bellori, Le Vite de' pittori, scultori e architetti moderni, Rome, 1672 * R. Borghini, Il Riposo, Florence, 1584 * M. 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