1983 AE&A&A

 

Temps Déterminée par l'hôte : TDH processing.

 

Avant Eve & Adam & Après [Before Eve & Adam & After]
[scOre#]+[1983 analogue tape recording at Paris VIII university with Daniel Caux]+[eaten apple samples collection for classical music]

 

musique parasitaire

 

L'idée de la musique parasitaire m'est venue d'un cauchemar : j'avais choisi le métier de compositeur et ce métier avait ses obligations : le métier de compositeur consistait à réécrire la musique des compositeurs morts : et obligatoirement des deux plus cités : Bach et Mozart [1]: le travail de compositeur était de réécrire leurs partitions et recommencer dans notre société contemporaine normalisée le processus de reréalisation de la musique déjà existante : une hypocrisie totale de la création musicale. C'est un fait que la musique des compositeurs morts est plus jouée que celle des compositeurs vivants : c'est un fait injustifiable, et malheureusement inexplicable de notre inhumanité : éviter les équilibres pour créer des conflits.

La musique parasitaire est une réaction ludique à cette hégémonie musicale. Elle se base sur le modèle du parasite, terme qui a évolué dans sa signification : du pique-assiette de l'Antiquité aux théories modernes du brouillage du signal intelligible transmis. Dans l'idée globale du parasitage il y a le fait de se nourrir d'un hôte : en musique cela consiste à utiliser la matière musicale de l'hôte pour générer une musique indépendante qui affecte l'hôte. Ma première musique parasitaire en 1983 « Avant Eve & Adam & après » suit ce modèle en le personnalisant par la description précise du processus de jeu. C'est une partition mode d'emploi qui indique comment réaliser une performance musicale parasitaire avec un hôte, en l'occurrence un orchestre interprétant la musique à parasiter et le résultat de ce parasitage : la musique parasitaire d' « Avant Eve & Adam & après ».

Ce type de partition-mode-d'emploi, permet de créer un nombre infini de versions par l'acte du parasitage musical. Des versions « live » de concerts écrites ou/et improvisées, des versions de réécriture de partitions existantes. Elle fonctionne comme une chréode qui génère un type particulier de musique sans jamais se répéter : dans le sens de la reconnaissance quantitative d'une oeuvre musicale : qui n'est pas le but de la musique parasitaire. J'ai créé ce genre musical pour qu'il ne soit pas reconnu dans sa répétition, mais pour que son processus puisse être éventuellement identifié dans son renouvellement permanent à chaque diffusion et là encore ce n'est pas important. L'important est que certaines musiques ne puissent plus profiter d'une invasion hégémonique. Mais de découvrir à chaque fois une facette inconnue de cette musique parasitée. La musique parasitaire demeure en elle-même inidentifiable, car elle se fond dans le processus global de la création musicale.

Concrètement la musique parasitaire va toujours se trouver en situation de double : l'orchestre hôte et l'orchestre parasite qui chacun revêt des formes différentes : du soliste classique à l'armada électronique d'un ordinateur. La puissance de l'orchestre parasite doit être proportionnelle à l'orchestre hôte pour que cela fonctionne : pas forcément dans le nombre mais plutôt dans la disposition et le dispositif. Un face à face caché ou visible où l'un se nourrit de l'autre et le modifie. Le musicien parasite à la fois crée sa propre musique à partir de celle de l'autre et en même temps modifie petit à petit celle de l'autre. Une version d' « Avant Eve & Adam & après » fut donnée à titre expérimental dans le cours de Daniel Caux à l'université Paris VIII en 1983. Je lui avais demandé de ne pas prévenir l'orchestre hôte pour que le parasitage musical soit plus efficace par l'effet de surprise. Daniel Caux ne put se contraindre à ma proposition et prévint tout de même l'orchestre en question de l'expérience qui allait se dérouler. J'avais engagé deux musiciens supplémentaires avec moi face à un orchestre de cinq musiciens je crois. Nous étions placés nous les musiciens parasites derrière le public, l'orchestre hôte étant sur la scène. Chacun a pu constater, sachant que l'orchestre était au courant, la modification de la musique hôte par de courtes interventions musicales parasitaires : certains musiciens hôtes ont même arrêté de jouer et d'autres ont persister dans l'obsession ce qui a donné une modification complète de leur musique. Il est important de comprendre que les musiciens parasitaires ne sont pas des destructeurs de musiques parasitées (cette question a été soulevée après le concert) : la destruction de la musique ne dépend que de l'orchestre hôte à jouer ou à s'arrêter de jouer : c'est l'arrêt du jeu musical qui détruit la musique puisque plus personne ne joue, pas le processus parasitaire. Mais la musique s'arrête toujours pour recommencer...

 

 

Nous reproduisons ici le texte de la partition-mode-d'emploi d'Avant Eve & Adam & Après qui date du 13 mai 1983

 

 

AVANT EVE & ADAM & APRES


[ micromusique parasitaire ]


Le principe de la musique parasitaire est de former des micromusiques parasites qui se greffent à une autre(s) musique(s) (hôte) qui se déroule en direct durant un concert avec musicien(s), (bien que les machines peuvent être parasitées aussi, mais le jeu musical est moins plaisant : moins imprévisible). La musique parasitaire constituée de plusieurs parasites musicaux existe uniquement par rapport à une autre(s) musique(s) et il demeure impossible qu'ils interviennent seuls pour eux-mêmes. L'effet est que par leur dépendance vitale à une autre(s) musique(s) les musiques parasitaires perturbent dans leur perception et leur réception la musique hôte (c'est-à-dire la modifie dans son déroulement, sa nature et sa structure), mais sans la détruire d'un coup : la destruction totale d'une musique hôte est une absence de jeu qui baigne dans le silence de l'inaction.

 

Le parasite musical est un organisme sonique qui tire ses sons et ses musicaux (sa nourriture) des musiques hôtes, les digère, tout en restant une individualité propre et marquante. Le parasite musical a une constitution irrégulière de différentes parties agencées particulièrement distinctes les unes des autres. Le parasite musical est animé par un ensemble de phénomènes de transformations telles que la croissance, la reproduction, l'extension, la décroissance et la suppression (la mort). Ces parasites musicaux se greffent partout : entre, au début, sur, à la fin, sous, dans, des musiques hôtes.


Il existe 2 types de parasites musicaux :

 

- Des parasites externes : Ectoparasites. Parasites AUDIBLES sur un tout musical qui se déroule, où ils cultivent le contraste esthétique : fait le contraire.

- Des parasites internes : Endoparasites. Parasites INAUDIBLES qui troublent toute la fondation musicale de l'hôte perturbée.


Chaque parasite musical est concentré (focalisé avec une densité maximale) dans toutes ses caractéristiques :

1. dans sa caractéristique temporelle :

Sa durée d'émergence, d'existence est brève, proportionnellement à la musique parasitée.


2. dans sa caractéristique spatiale :

Accumulation, agglomération de beaucoup de structures particulières dans peu de place, espace compressé.


3. dans sa caractéristique structurelle :

assemblage = collage : cohabitation très serrée d'une multiplicité d'emprunts disparates soudains et déviés modifiés).

Avec 2 modèles de collages :

le collage additif : compilation d'existants

le collage soustractif : compilation d'inexistants

=> filtres : introduction des processus de filtrages.


4. dans sa caractéristique psycho et physiologique :

application de tout l'effort de parasitage sur le microrganismévènement évoluant des sons de l'hôte musical en agissant sur l'inattention et la tension des musiciens parasités pour la génération d'effets de surprises d'autant plus fortes que le musicien parasité est dans un état tendu, c'est-à-dire redoutant l'effet du parasitage qui le détourne de sa musique originale pour créer une musique parasitaire originale, mais dont il ne souhaite pas.

 

Inattention de l'hôte => effet-surprise du parasite

Tension de l'hôte => état favorable à la modification parasitaire

 

La prise de nourriture des musiques hôtes consiste en une compréhension profonde de leur articulation temporelle - fondation constructive - voulue ou aléatoire; leur pulsion vitale qui profile leur caractère. Par le chopage (attraper, piéger, appréhender, digérer) de leur essence, et par ce biais-là uniquement, le parasite musical prendra toute son importance et ne pourra être un banal "mit là" par qui sa propre fonction de parasite ne sera pas perçue comme tel.

 

Le type d'instrumentarium utilisé pour "Avant Eve & Adam & Après" sont des sources sonores, qui ne sont pas revendiquées comme instrument de musique imposant un autoritarisme historique, qui ne sont ni comique, ni grotesque (ne caricaturant pas les précédents), qui ne provoquent pas une agression gratuite, qui ne sont pas bruitistes (la musique parasitaire n'est pas du bruitage revendiqué comme musique)

 

Les instruments de la musique parasitaire

se rangent dans 6 catégories :

  1. Objets

  2. Systèmes

  3. Nourriture

  4. Corps-voix

  5. Choses naturelles non consommables

  6. Instruments détournés

Tous apparemment non musicalisables.


La sonorité parasitaire est : des vivances de beaucoup de sons extrêmes donnant des jeux-réactions de timbres très subtils aux reliefs multiples dans une construction de changements constants brusques-doux très rapprochés-serrés par une maîtrise très fine des fortissimos et des pianissimos donnant des sons pénétrants et pénétrés. Les sonorités parasitaire, sont difficilement décelables et dans le cas contraire restent constamment étranges, furtives et fugitives.


L'esprit des micromusiques parasites, "Avant Eve & Adam & Après",

n'est pas comique ni grotesque

n'est pas agressif

n'est pas "planant"

n'est pas bruitiste :

IL EST PARASITAIRE

 

Paris, le vendredi 13 mai 1983
[révisé le mercredi 19 août 2009]


 

Téléchargez la partition-mode-d'emploi propositoire d'Avant Eve & Adam & Après

 

 

Nous sommes tous des parasites, car nous nous nourissons les uns des autres.

 

 

Notes
[1] Bach représente avec sa musique l'ordre parfait et Mozart représente avec sa musique l'aisance et la légèreté parfaites : dans l'imaginaire collectif. Les auditeurs schématisent dans leur écoute leur idéal fantasmé. Ils cherchent à écouter ce qu'ils entendent. À reconnaitre ce qu'ils cherchent : la projection de leur soi, de leurs manques. Certaines musiques représentent leur idéal, c'est-à-dire : ce qu'ils ne peuvent atteindre sur le moment. Suivant le type de perturbation vécu, chacun va chercher à se rééquilibrer en cherchant son opposé. Ceux qui sont perturbés par leur confusion vont apprécier la musique de Jean Sébastien Bach qui projette à travers sa musique mécaniste la sensation d'un ordre immuable : un ordre parfait sublimé (la sublimation est portée par l'émotion). D'autres qui sont perturbés par l'angoisse et la pesanteur de leur existence vont se réfugier dans la musique de Wolfgang Amadeus Mozart qui projette à travers sa musique l'aisance et la légèreté jusque dans son Requiem. Mozart a réagi par opposition face au pompeux cérémoniel engorgé d'octaves pour la gloire des empereurs et des rois avec une légèreté frivole et railleuse (n'est-il pas mort indirectement empoisonné à cause de son audace ?). Ce que j'écris sur ces deux compositeurs, ce n'est pas ce qu'ils ont vécu, mais la façon inconsciente dont ils sont aujourd'hui perçus (ce qui n'a rien à voir). Personne en réalité ne perçoit la musique telle qu'elle est, mais tous perçoivent l'intention qu'ils lui attribuent. C'est la fonction de la musique dans nos sociétés, sa chaîne et son poison aussi : elle répare, rééquilibre les frustrations. (comment sortir de ce guêpier, de cette embuscade, de cette tromperie, de cet attrape-couillon sera traité plus tard). La sensation de sublime n'existe que grâce au sentiment de frustration : l'un n'existe pas sans l'autre. Déjà Ludwig van Beethoven est trop inquiétant pour aujourd'hui, alors ne parlons pas des « musiques postcontemporaines » (celles qui viennent après le désastre culturel de la négation de l'art) qui fait fuir tout le monde grâce à des murs de préjugés érigés par la peur de souffrir et l'inquiétude d'être perturbé. Aujourd'hui, la musique des compositeurs vivants n'existe pas dans l'imaginaire collectif, si elle apparaît, personne ne se donne le moyen de l'entendre encore moins de l'écouter. Comment est-ce possible ? D'être hermétique à son présent ? De se réfugier dans le passé ? Ce sont les ravages de l'ignorance et de l'obéissance volontaire.

 

JE COMPOSE DES PARTITIONS INACHEVEES POUR QUE CHACUN PUISSE DANS DIFFERENTES DIRECTIONS LES CONTINUER, LES EVOLUER, LES ASSEMBLER JUSQU'A LA GENERATION SUIVANTE QUI PRENDRA LE RELAI. CES MUSIQUES NE SONT PAS PROPRIETAIRES ET CHACUN PEUT Y TRAVAILLER SANS PAYER NI COPIER.

 

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