MOMUS

1981

opera panic

pas niqué

 

L'opéra est une forme musicale conventionnée qui avec les édifices qui lui sont exclusivement destinés, réservés, s'est figé dans sa forme du XIXe siècle. L'opéra est resté une distraction (détournement de sommes) pour la bourgeoisie régnante grâce à ses coûts exorbitants de production. Ces coûts exorbitants et son bâtiment relèguent l'opéra dans une voie de garage prestigieux où toute inventivité est contrariée. Créer un opéra en dehors de ce contexte est un acte impossible, voire « déconseillé » autrement dit interdit. L'opéra représente la forme de distraction et le prestige de la classe dominante qui lui sert d'abord à la démonstration de sa puissance. Le cas Wagner à Bayreuth est un exemple parlant.

Pour sortir l'opéra de cette impasse servile, de cette prison dorée où les voix se sont figées dans des cachets dorés, d'abus, il est obligatoire de sortir l'opéra de l'opéra. De l'édifice qui a figé sa forme musicale. De la mondanité qu'il a créée. À l'étranger à l'opéra on parle, dans des smokings et des robes de soirée hors de prix, le français (ça fait chic). Et ça se perd ? L'architecture de l'art ne devrait-être qu'éphémère pour ne pas l'arrêter ni le figer dans sa génération. L'opéra, un (haut) Lieu pour (se) montrer sa réussite sociale : celle d'être des gogos de l'argent. L'opéra n'est plus une oeuvre musicale, la musique est reléguée au prétexte et à un Lieu pour se voir briller dans la « victoire » politique. C'est bête, hein ? Donc pour créer un opéra on ne peut que sortir de l'opéra. Le film de Werner Herzog Fitzcaraldo montre bien la dichotomie entre la passion de l'opéra et l'avarice du prestige impliquant la bêtise. Caruso chante avec l'orchestre sur une pirogue.

L'opéra est sorti de l'opéra avec le théâtre musical pendant les 30 glorieuses dont le représentant le plus parlant et obstiné en France est Georges Aperghis. L'opéra est sorti de l'opéra pour rerentrer au théâtre. Désignifier la pièce théâtrale tout en gardant l'apparence d'une histoire au rythme de la musique. La musique au festival d'Avignon puis rejetée pendant les 30 obscures. Les Américains avec Bob Wilson et Philip Glass ont réintroduit l'opéra par la chorégraphie, mais permanente d'Andrew deGroat et Lucinda Childs, danse contemporaine intégrée dans l'édifice classique. Le ballet contemporain a réintroduit l'opéra musical dans ses locaux sans histoire (mais pas en France). La part tragique, pathétique, de vive émotion douloureuse, de pièce théâtrale vibrante (en émotion intense) a été abandonnée au profit de l'absurde. Mais sa croissance a été contrariée par ces murs impénétrables de l'opéra classique. Le modèle édifique devait être abandonné, mais ne l'est pas.

Avec Momus, j'ai repensé l'opéra dans son décontexte ou son contexte édifique décontextualisé. J'ai effacé les murs. Remis dans la place du village qui rassemble les curieux pour un spectacle exécutoire. En général un supplice public. Le compositeur Renaud Gagneux alors carillonneur de Saint-Germain l'Auxerrois à Paris me demanda une pièce de musique pour le carillon qu'il interprétait tous les mercredis après midi. Mais au lieu de lui proposer une partie de séance musicale pour carillon. Je proposais Momus pour sonner les cloches à la panique. Le contexte du lieu était parfait pour un opéra panique : « on fout la merde et on se tire en courant » à ne pas prendre au sérieux : c'est la naissance de l'opéra happening de l'opéra performance de l'opéra évènement soudain et non publicitaire.

On rêve au cinéma, mais le spectateur reste passif. J'ai toujours voulu mettre le spectateur dans un contexte actif où il prend part à l'évènement musical. Où l'évènement musical dépend de son investissement actif. Mettre et réaliser les délires cinématographiques dans la réalité d'une action qui se vit. Le public joue les passants qui passent ou s'arrêtent ou prennent part à l'évènement musical. Mais ils font quelque chose, ils ne se projettent pas passivement dans le désir de vivre autre chose sans pouvoir le vivre; ce qu'offre le cinéma : rêver à autre chose pour oublier un temps sa vie non épanouissante.

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MOMUS opéra [du verbe opérer]

n'est pas un titre, mais le personnage mythique de la Grèce Antique riant d'Apollon, autrement nommé : Dionysos.

[À Paris vers 1830, les artistes vont faire leur apparition dans la mythologie des cafés grâce à l'existence d'un petit groupe de peintres jamais admis au Salon, de musiciens sans commandes et d'écrivains sans imprimeurs, qui ont élu domicile au Café Momus, rue Saint-Germain-l'Auxerrois devenu à la fois refuge et atelier (Gérard-Georges Lemaire). Giacomo Puccini tirera en 1896, son opéra : La Bohème, d'après le roman : Scènes de la vie de bohème d'Henri Murger vécu, rédigé et publié au café Momus. Depuis la fin des années 1970 à Paris, les cafés laissent leur place aux boutiques de fringues... Ce qui signifie que l'apparence est devenue plus importante que la convivialité.]

 

Personnages :

. Momus : divinité de la raillerie, de la satire, de la nuit et du sommeil. Sur le clocher. Baryton bouffe & falsetto. Machine à vent, à tonerre, grosse caisse symphonique, fouet, orgue dans l'église. p a s l e c l i c h é d u c o m m a n d a t o r
. Le Fou : représente la part inavouée de Momus en chacun de nous. Dans le clocher. Tenor & falsetto. Carillon, jeu de gongs, clochettes, grelots, orgue dans l'église.
. L'Autre: faux avatar de Momus qui se craille lui-même. Le technologue robotisé parle. Transformation électronique des sons des autres et voix parlée difficilement compréhensible.
. La Sirène : acolyte de Momus signale la détresse et aimant vers la catastrophe. Dans la cour derrière le clocher. Soprano coloratur. Jeu de sirènes d'alarme électriques, électroniques, manuelles, etc., par le choeur de matelots hollywoodiens.
. La foule-panique-enfants : vagues humaines attachée en choeur à Momus qui entrainent les autres en queue de comète. Place de l'église et parvis. Choeur, petites percussions.
. 9 Sages (les juges) : condamnent ou encouragent; qui sait ? Face au clocher. Récitantes psalmodiant au triton 9 textes savants. 4 sopranos, 4 alto, 1 basse.
. Le curé (femme) : voix de la lamentation (threni) attachée à la sirène sur les textes de Jérémie, chantant la leçon des ténèbres. Contralto dramatique.

 

Orchestre - instruments - musiciens :

L'instrument de musique central de l'opéra Momus est le carillon. C'est le carillon qui joue le rôle d'attracteur, l'appel à la formation de l'orchestre. C'est lui d'ailleurs qui commence la musique. L'orchestre qui se rassemble petit à petit en tant qu'altérité commune installe l'environnement musical à partir de l'environnement sonique du lieu pour provoquer les chants. L'orgue de l'église est investi en dualité avec le carillon. En fait ce n'est pas le carillon qui commence la musique, mais le crescendo de l'environnement sonore anecdotique de la place qui va petit à petit se transformer et prendre la place du bruit de fond de la place. Une fois la place prise, le carillon lance son appel au rassemblement de l'orchestre.

Le carillon de Saint-Germain l'Auxerrois possède 37 cloches (qui par rapport au tempérament de 12 tons sont « fausses ») : tant mieux pour nous. Plus une cloche est petite (aigüe) plus elle est ténue. Le battant met environ 1/2 seconde pour revenir à sa position initiale avant de pouvoir être de nouveau mis en action, ce qui implique qu'un son répété ne peut pas dépasser la vitesse d'une croche pour le tempo de la noire à 60 battements par minute. Aussi le battant des cloches graves est plus lourd que le battant des cloches aigües. J'ai opté pour une écriture ondale (comme pour Ourdission) en déferlement rapide (en contradiction avec le carillon) dans la limite où chaque cloche ne se répètera qu'après huit autres pour un tempo presto : au dessus ça accélère et en dessous ça ralentit.

représentation graphique de la partition pour le carillon :
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L'orgue de Sait-Germain l'Auxerrois en ce temps n'a pas été étudié pour lui personnaliser une musique. Momus n'a pas dépassé en ce temps la possibilité de projet musical écrit; pour causes d'un encerclement d'interdictions et de la conviction d'un entourage de mon excès face à la « bienséance sociale » même dans l'expression artistique.

Le duo carillon-orgue s'équilibre par la sonorisation.

La question c'est posée pour l'orchestre : comment écrire une musique pour des musiciens encore inexistants, c'est-à-dire sans connaître la composition finale de l'orchestre ? (j'aurais pu faire appel à Urban Sax de Gilbert Artman habitué à des actions musicales d'investigation urbaine, mais le consort de saxophones pour la couleur orchestrale de l'opéra me paraissait insuffisant). L'idée était de rassembler un orchestre hétéroclite inconnu et de le faire sonner comme une masse mouvante imperturbable dans des actions de rassemblements (groupements de forme implosive) et d'isolements (dégroupements de forme explosive).

Voici comment j'ai procédé :

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En accompagnement de l'orchestre, un dispositif d'instruments électroniques indépendant accompagne les chanteurs par un ou plusieurs musiciens localisés sur le camion plate-forme de la régie son (au départ il s'agissait d'une bande préparée pour la commodité, mais rapidement abandonnée : le jeu vivant est plus excitant). Aussi ce dispositif permet la musicalisation du bruit de fond de la place avec capture des sons, transformations et diffusion en temps réel. L'environnement sonore anecdotique qui se transforme petit à petit pour nous emmener ailleurs, là où la musique va s'exprimer.

 

Argument :

Momus et ses amis déboulent sans être attendu (ni autorisé) à oeuvrer un opéra nocturne où le jeu est de jouer ce qui n'est pas mis en jeu et ce qui est cru : personne n'est fou, ou dangereux ou possédé, même s'il y parait. Une mise en évidence par l'absurde du paradoxe de nos sociétés par une moquerie de soi et du reste.

Le jeu, la dépense pour le plaisir, la transgression des interdits, l'exploit sont les moteurs des actions de cet opéra et réside en trois termes : provoquer, jouir et s'endormir.

Momus apparait en haut, il atterrit sur le sommet du clocher avec ses instruments.
Le Fou apparait en bas, il court comme un possédé avec un fou rire instoppable et décolle vers le carillon.
La Sirène et le choeur des matelots hollywoodien atterrissent dans la cour derrière le clocher.
L'Autre est planqué dans le camion-régie.
Les 9 juges arrivent à pied en robes après l'installation de leur comptoir à juger au centre de la place.
Le curé aux portes de son église voulant en interdire l'accès.
Le choeur-enfants poursuit Momus en courant.

Dans les douves du Louvre, il se passe autre chose : un apaisement en contradiction.

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Durée :

La durée de l'opéra MOMUS dépend du temps de l'intervention de la police (Forces de l'Ordre) pour interdire la manifestation. Le final de l'opéra ne change pas : encerclement avec fourgons et menaces de violence policière et dispersement de la foule rassemblée : lacrymogène, coups, électrocution, etc. La distance entre le lieu investi pour l'opéra et le commissariat de police (+ la réserve de CRS = Compagnie Républicaine de Sécurité, etc.), le degré de tolérance sociale et le nombre de voisins délateurs sont les conditions qui déterminent la durée de l'opéra MOMUS. Plus la durée de l'opéra est courte plus cela montre l'intolérance régnante de la population locale, plus la durée est longue plus cela montre une tolérance, voire un intérêt de la population locale pour la musique et l'opéra.

 

Lieu d'apparition de MOMUS à Paris en 1981 : autour de la tour de Saint Germain l'Auxerrois :

Lieux investis autour de la tour de Saint Germain l'Auxerrois pour l'opéra panique :
. le clocher de Saint-Germain l'Auxerrois avec son carillon (le seul à Paris)
. l'église de Saint Germain l'Auxerrois avec son orgue
. la cour entre la mairie et l'église
. les douves du Louvre
. la place de la mairie et de l'église
. l'esplanade du Louvre

MOMUS opera happening (plan du site parisien) projet 1982
plan du site parisien pour la réalisation de l'opéra happening MOMUS en 1981

 

Technologie :

Le défi est de rendre audible dans tout l'espace toutes les actions musicales et les chants 1. pour troubler leurs localisations et les faire voltiger dans l'espace et 2. entendre les détails sonores annihilés par la vastitude de l'espace. La soudaineté de l'opéra interdit toute installation préalable.

L'accès motorisé au site est possible à travers 4 voies : la rue de Rivoli, le quai du Louvre, et les deux petites rues adjacentes : la rue Perrault de la rue de Rivoli et la rue du pré Saint-Germain l'Auxerrois de la rue de l'Arbre Sec. Ce qui offre la possibilité d'une diffusion quadriphonique. Derrière chaque blocage officiel usurpé de la circulation, un camion-haut-parleurs diffuse dans l'enceinte encerclée : il y a quatre camions haut-parleurs pour une diffusion quadriphonique. La régie son est aussi sur camion plateau qui se branche aux quatre camions haut-parleurs.

L'éclairage de l'opéra se réalise uniquement avec des projecteurs de poursuite : un par personnage. Ce qui fait 7 projecteurs de poursuite indépendants sur voiture à plateau. Des lampes de poche et des briquets.

L'électricité nécessaire à l'alimentation est tirée directement des poteaux électriques avec transformateurs.

Pour le déplacement des chanteurs-acrobates, une scénographie de câbles et de ballons à l'hélium avec sièges doit pouvoir s'installer rapidement dans l'immédiat.

 

Situation :

St Germain l'Auxerrois façade
Saint Germain l'Auxerrois, le clocher avec son carillon et l'entrée de l'église toujours au même endroit 30 ans après
360° de Saint Germain l'AuxerroisVisualisation à 360° de la situation de Saint Germain l'Auxerrois en face du Louvre

 

On ne s'imagine pas que dans quelques instant, ce lieu va être « le théâtre » d'un opéra

« une foule joyeuse et bigarrée s'agite » de la réjouissance gratuite de la musique.

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Téléchargements :

. papier à musique pour le carillon de St Germain l'Auxerrois pour une écriture ondale [A4 pdf 21Ko]

 

 

Notes
Attention : Momus n'a rien à voir avec le « spectacle de rue » qui est une animation pour le divertissement de la foule dans le but de glorifier ses gouvernants. Le « spectacle de rue » illustre la politique culturelle dominante du gouvernement pour le rassemblement des électeurs à voter pour lui. Le « spectacle de rue » est un détournement politique tout comme l’« évènementiel » est un détournement commercial du spectacle libre en plein air.

 

 

JE COMPOSE DES PARTITIONS INACHEVEES POUR QUE CHACUN PUISSE DANS DIFFERENTES DIRECTIONS LES CONTINUER, LES EVOLUER, LES ASSEMBLER JUSQU'A LA GENERATION SUIVANTE QUI PRENDRA LE RELAI. CES MUSIQUES NE SONT PAS PROPRIETAIRES ET CHACUN PEUT Y TRAVAILLER SANS PAYER NI COPIER.

 

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